L’émergence et l’évolution des clubs de motard est certainement l’un des phénomènes sociaux les plus fascinants à observer et à étudier. Apparus dans la seconde moitié du vingtième siècle suite aux différentes fractures sociétales provoquées par les deux guerres mondiales, ces clubs, parfois devenus des gangs comme ce sera le cas ici, se sont souvent constitués à partir de valeurs communes. Cette valeur principale est généralement le désir avide d’une liberté trop souvent enlevée à ces jeunes gens. Y a-t-il un moyen de déplacement moderne évoquant la liberté qui soit plus évocateur qu’une moto ? Ainsi, c’est certainement le dénominateur commun de tous ces regroupements. Réunis par l’amour des grandes balades et par un besoin de fraternité mis à mal par l’histoire, les motards se sont ainsi constitués en groupes, groupes avec différents esprits : du plus conforme aux règles établies jusqu’aux plus dissidents. C’est malheureusement le cas du gang dont il sera question ici, à savoir le Brother Speed MC.
Sommaire
Origines du Brother Speed MC
C’est en mai 1969 que tout a commencé, de manière presque trop idyllique pour être crédible. En effet, comme beaucoup de solides amitiés, les plus anciennes sont les plus fiables et c’est sur les bancs du lycée que se nouèrent les premiers liens de ce qui allait devenir le Brothers Speed. Des copains motards avaient décidé d’organiser des réunions dans la petite ville de Boise, dans l’Idaho. Petit à petit, ces réunions hebdomadaires devinrent de plus en plus populaires, de telle sorte que le club se créa à partir de là. Le chapitre de Boise fut donc le premier d’une longue série. Peu de temps après le club se développa et d’autres chapitres s’ajoutèrent au premier. Il est à noter que le périmètre des Brothers Speed s’étend sur la partie nord-ouest du continent américain. Maintenant, il dispose d’environ une douzaine de chapitres et n’ont pas, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, de chapitre à l’international. Les chapitres des Brothers Speed se situent donc à Boise, Burley, Camas, Couer d’Alene, Eastside, Montana, Nampa, Portland, Roseburg, en Utah, à Washington et dans le Westside. Un autre club du même nom s’est également développé, passionné non pas de moto mais de course de dragsters.
Toutefois, comme c’est souvent le cas, le Brother Speed MC s’est fait rattraper par différentes affaires illégales. Cela en fait donc un club faisant partie du tristement célèbre groupe des 1 %, c’est-à-dire les 1 % de motards vivant dans l’illégalité par opposition aux 99 autres pour cent respectant la loi. Cette expression est issue de la police. Ainsi, nous le verrons, différents méfaits jalonnent le parcours des Brothers Speed qui est aujourd’hui encore très vivace. À ce jour, il fait partie des cinq grands clubs de moto de l’Orégon avec les Vagos, les Free Douls, les Gipsy Jokers et les Outsiders.
Les couleurs et le code d’Honneur des Brothers Speed
Adhérer à un club de motards, c’est choisir une vie à la marge. A la marge de la légalité, à la marge d’une vie familiale et professionnelle stable, à la marge de tout ce qui ne se rapporte pas au club. Ainsi, cela passe par l’adoption d’un style vestimentaire caractéristique qui fait à la fois la fierté des motards et provoque le rejet d’une bonne partie de la population. Conduire une moto fabriquée aux USA par exemple est une exigence pour intégrer le club des Brother Speed, contrairement à d’autres clubs beaucoup plus ouverts sur l’origine des motos qui appartiennent à leurs membres. Sont même parfois tolérées les motos fabriquées au Japon, en Angleterre ou en Italie. Les motards des Brothers Speed portent un blouson au dos duquel figure leur logo. Le leur, en or et en blanc, représente un crâne avec des ailes de part et d’autre. Le motif du crâne souriant est un motif récurrent dans les clubs, ainsi que celui des ailes. L’allusion au personnage biblique de l’ange est ici évidente et se retrouve chez d’autres gangs, comme les Hell’s Angels ou les Blue Angels écossais. Le crâne des brothers speed est muni d’un casque et d’une paire de lunettes posée négligemment sur les orbites du crâne. C’est un logo assez sobre, finalement, en comparaison d’autres logos bien plus agressifs et suggestifs d’autres clubs. Au-dessus du dessin figure l’inscription Brother Speed et en dessous est inscrit le nom du chapitre auquel appartient le motard. Bien évidemment, l’intégration au club ne se fait pas aussi facilement que dans une de nos associations françaises. Le motard doit évidemment être majeur, et se présenter à ses pairs pour voir si sa candidature sera acceptée. Bien entendu, les femmes ne sont pas admises. Cela est peut être l’une des plus grandes caractéristiques que l’on retrouve chez les clubs de motards : une forme de sexisme qui exclut systématiquement les femmes en tant que membres. Elles sont tolérées pour les balades, pour les manifestations, mais elles ne font pas partie des membres du club. À notre connaissance, de ce que nous avons pu voir, peu de personnes racisées appartiennent à ce club des Brothers Speed.
La devise des brothers speed, qui s’affiche en gros sur leur site internet, est “You don’t know where you’re going if you don’t know where you’ve been”, sentence proverbiale pouvant se traduire par “tu ne sais pas où tu vas si tu ne sais pas par quoi tu es passé”. Cette phrase quelque peu énigmatique met en valeur la difficulté des parcours personnels des membres, et constitue une sorte d’invitation à la tolérance vis-à-vis des épreuves de la vie qu’ils ont pu subir.
Associations criminelles et justice
Avoir maille à partir avec la justice est également une caractéristique récurrente de la plupart des gangs, bien que certains mettent un point d’honneur à rester dans le droit chemin et à ne pas se confondre avec le club des 1 %. Les Brothers Speed ne sont pas de ces gens-là, malheureusement, et de nombreuses affaires judiciaires viennent émailler le parcours du club. Dès le début, l’heure des premiers rassemblement de ce qui deviendra le Brother Speed MC, du trafic de méthamphétamine et venu perturber le déroulement des soirées. Cela ne s’est pas arrangé avec le temps. En 2006, un membre du club a été condamné à 21 ans de prison pour trafic de méthamphétamine, de nombreuses perquisitions au locaux du chapitre de Boise a permis de mettre à jour une grande quantité de meth et de prouver que de nombreuses transactions avaient lieu à cet endroit-là. En réalité, le chapitre était un point névralgique du trafic de stupéfiant.
Fin septembre 2009, un énorme accident impliquant vingt-six motards du club a eu lieu en Oregon, près de la ville de Wilsonville. L’accident a infligé beaucoup de dégâts, en particulier sur deux des motards. Plus d’une dizaine a été envoyée à l’hôpital, entraînant ainsi la fermeture de la route pendant plusieurs heures. L’un des Brothers Speed a hélas fini par succomber à ses blessures. L’origine de l’accident n’est pas encore très claire.
En 2012, deux membres des Brothers Speed sont arrêtés. On les suspecte d’harcèlement, de menaces, de conduite en état d’ivresse, et de mise en danger de la vie d’autrui. Suite à une dispute, les deux hommes avaient pris en chasse une voiture à Eugène, dans l’Oregon. Ils ont ensuite dégradé la voiture du propriétaire à coups de batte de métal, le tout pour une histoire d’insultes sur fond de discussion alcoolisée. Dans le même registre, au mois de mai de la même année, cinq des membres des Brothers Speed du chapitre de l’Idaho ont attaqué deux membres du club de Pocatello. Nous pouvons voir à quel point ce club, sans verser dans le grand banditisme ni dans la criminalité de haut vol comme d’autres, s’est bâti peu à peu une réputation de motards qui ne se laissent pas faire. Cela fait malheureusement partie d’une sorte de folklore, d’autant plus opaque qu’il y a très souvent un gouffre entre la réalité des faits et ce qui nous en parvient. Ainsi, les rapports de police, les articles journalistiques ou les divers témoignages ne sont probablement qu’une partie émergée d’un iceberg beaucoup plus sombre. Cela n’empêche pas pour autant les Brothers Speed de chercher une forme de légitimité auprès de la population. Ainsi, ils participent à de nombreuses actions caritatives visant par exemple à distribuer des jouets à des enfants défavorisés, à faire des quêtes pour aider des gens dans le besoin ou à faire des collectes pour les vétérans. Tous ces exploits sont évidemment recensés sur internet, en vue d’offrir une image plus lisse. Cela est bien sûr fort louable mais ne doit pas masquer non plus la réalité du quotidien de ces gangs.
Conclusion
Le club des Brothers Speed est un cas paradoxal, car c’est un club qui ne cherche pas à s’étendre particulièrement sur le territoire américain ni en dehors des frontières, contrairement aux autres gangs qui cherchent à se propager par le biais de différentes alliances. Les Brothers Speed ne peuvent être qualifiés d’enfants de chœur, certes, toutefois par rapport à d’autres gangs, la portée de leur méfaits reste sans doute bien moindre. Il n’a pas été question de meurtre, de grand banditisme ou d’attaque à main armée. Finalement, restant dans une sorte de demi-mesure, les Brothers Speed font le pari d’une sorte d’entre-deux politique qui assure leur pérennité.