L’émergence et l’évolution des clubs de motard est certainement l’un des phénomènes sociaux les plus fascinants à observer et à étudier. Apparus dans la seconde moitié du vingtième siècle suite aux différentes fractures sociétales provoquées par les deux guerres mondiales, ces clubs, parfois devenus des gangs comme ce sera le cas ici, se sont souvent constitués à partir de valeurs communes.
Cette valeur principale est généralement le désir avide d’une liberté trop souvent enlevée à ces jeunes gens. Y a-t-il un moyen de déplacement moderne évoquant la liberté qui soit plus évocateur qu’une moto ? Ainsi, c’est certainement le dénominateur commun de tous ces regroupements.
Réunis par l’amour des grandes balades et par un besoin de fraternité mis à mal par l’histoire, les motards se sont ainsi constitués en groupes, groupes avec différents esprits : du plus conforme aux règles établies jusqu’aux plus dissidents. C’est malheureusement le cas du gang dont il sera question ici, à savoir les Kaloh Wagoh.
Sommaire
Origines du MC Caloh Wagoh
C’est très largement sur le sol américain que les clubs se sont constitués, cela s’explique par des différentes raisons. Historique d’abord comme nous l’avons vu, mais également géographique étant donné l’immensité du continent nord-américain. Même maintenant, le mythe du motard traversant les États-Unis le long de la route 66 reste encore bien ancré. Pour autant, cette imagerie n’est pas forcément très représentative de la réalité.
En effet, les gangs de motards se sont constitués un petit peu partout dans le monde, d’Écosse en Russie, d’Allemagne en Afrique… Ainsi, le club des Caloh Wago s’est constitué aux Pays-Bas, c’est un club extrêmement récent étant donné qu’il a été fondé en 2016. Le club des Caloh Wagoh est essentiellement composé de membres néerlandais d’origine surinamienne. Cela est plutôt étonnant, mais s’explique facilement par l’histoire singulière de ce MC. Comme souvent, la fondation du club à une origine territoriale, les Caloh Wagoh ont en effet été fondés après une séparation de deux groupes : les Trailers Trash MC et les Crips, ces derniers n’étant pas un gang de motards mais une organisation criminelle.
Un club très jeune, donc, et dont les ramifications semblent intenses mais qui ne sont pas toujours très accessibles au grand public. Ainsi, il nous est difficile de savoir précisément le nombre de chapitres que possède ce club en Europe. Ce qui nous semble à peu près certain, c’est qu’il est très présent, bien qu’interdit, aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne. De fait, les Caloh Wagoh ressemblent davantage à une association criminelle internationale qu’à une réunion de bons copains réunis autour de leur moto. Le fondateur du club et le mystérieux Delano R, qui a recruté dans le club énormément de membres étant en réalité des tueurs à gages, la signature des Caloh Wagoh étant généralement la mise à mort. Nous le verrons, le club est cité dans énormément d’attentats et d’affaires criminelles.
Les couleurs et le code d’Honneur des Caloh Wagoh
Nous l’avons compris, ce club est en club atypique mais pour de mauvaises raisons, on a davantage l’impression, en parcourant tous les documents et sites Internet qui leur sont consacrés, d’avoir affaire à du grand banditisme qu’à un club de motards. À ce titre, le code d’honneur des Caloh Wagoh ne semble pas spécialement être tourné vers l’entraide et le respect de la belle mécanique. Pour autant, il reste relativement discret sur Internet, n’ayant pas de site ni de grande diffusion. Il est donc difficile de déterminer quel serait leur code d’honneur. Nous pouvons facilement saisir que la fidélité au groupe et le désir de s’enrichir facilement sont des dénominateurs communs de tous ses membres.
Comme tous les MC, les Caloh Wagoh obéissent à une sorte de règle de vie, à savoir le désir d’être à la marge de la société et l’adoption d’un style vestimentaire particulier, qui leur confère souvent une mauvaise réputation, ici légitime. C’est pour cela que leurs membres sont toujours représentés avec un blouson de cuir noir au dos duquel se trouve le logo du club. Celui-ci est particulièrement intéressant. Il représente un squelette debout, dressé, tenant une lance à sa verticale. La référence à l’image traditionnelle de la mort, dans la Bible, est ici évidente : les Caloh Wagoh veillent à se représenter comme au service de la faucheuse. Tout porte à croire qu’ils se considèrent en quelque sorte comme des émissaires de la mort, en témoignent le train au-devant du squelette et les nombreuses chaînes qui entourent le personnage.
Ce logo est assez impressionnant et particulièrement hostile. Au-dessus du logo, le nom du club est inscrit et en dessous, comme cela est traditionnel, est indiqué le nom du chapitre auquel appartient le motard. La couleur dominante du logo est le bleu, couleur revendiquée par les Crips. Il n’y a pas vraiment de code d’honneur à ce club, toutefois nous pouvons facilement comprendre que les femmes ne sont guère admises au sein du groupe, et qu’il doit y régner une homophobie assez marquée. Il n’y a pas, à notre connaissance, de formule de ralliement ou de slogan qui permettrait de résumer en une phrase la devise du club, cela est certainement dû à son âge très récent ainsi qu’une forme d’inutilité de se trouver une devise. Il est vrai que leurs actions sont assez éloquentes.
Associations criminelles et justice
c’est la criminalité qui est à l’origine de leur fondation, le goût des motos étant plutôt secondaire. De fait, la moto n’est même pas représentée sur le blouson des Caloh Wagoh. De plus, là où les autres clubs brillent surtout dans le trafic de drogue et les attaques à main armée, les Caloh Wagoh se distinguent en particulier dans les exécutions de cibles choisies par des parrains de la criminalité. Plusieurs grandes affaires de meurtres ont ainsi émaillé le parcours du club, en particulier ce qu’on a appelé le procès Eris en 2018. A la Haye, cinq hommes furent assassinés: Stefaan Bogaerts, Jaïr Wessels, Justin Tape Tjong, Farid Souhali et Zeki Yumuzak, entre janvier et septembre 2017. Très vite, une action nationale fut engagée contre les Caloh Wagoh, action qui entraîne des perquisitions dans les différents endroits des Pays-Bas.
Le dirigeant Delano R et son proche collaborateur ont été arrêtés, si bien que tout cela mena à cet immense procès surnommé le procès Eris qui porte sur cinq meurtres, six tentative de meurtre, la préparation manquée de huit autres, de l’extorsion de fond, le bombardement d’une maison, le commerce illégal d’arme à feu et l’appartenance à une organisation criminelle. Sur l’ensemble de ses faits, ce sont vingt-et-un suspects dont dix-huit membres des Caloh Wagoh qui ont été poursuivis. Le tribunal parlait sans hésitation de « faits extrêmement graves et choquants » susceptibles de perturber la société. Le ministère public a demandé des peines de prison allant de vingt à trente ans contre les suspects.
Le procès Eris n’est pas encore complètement terminé à l’heure où nous écrivons ces lignes. En effet, les quatre principaux suspects ont fait appel de leur condamnation, de telle sorte que c’est en décembre prochain qu’une audience publique pro forma se tiendra à la cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden. Nul doute que cette affaire est loin d’être finie, dans la mesure où la décision de justice n’interviendra que plusieurs mois plus tard.
Le commanditaire de tous ces meurtres est Ridouan Taghi, mafieux néérlandais d’origine marocaine, grand baron du banditisme mondial. Il semble que le fondateur des Caloh Wagoh ait voulu prêter allégeance à cet ennemi public numéro 1 aux Pays-Bas. Après avoir été refusé par l’homme d’affaires, Delano R dut faire ses preuves en commettant deux assassinats qui lui vaudront d’être finalement accepté parmi les employés du criminel.
Pour autant, cette sombre histoire de meurtres n’a pas empêché le gang de commettre d’autres exactions. Parmi les plus célèbres figurent les deux attentats contre les journaux De Telegraaf et le média Panorama. Les bâtiments de ce dernier ont été visés par un attentat au lance-roquettes, alors que les locaux du Telegraff ont été saccagés par une voiture incendiée à l’intérieur. C’est ainsi que le 26 juin 2018, à Amsterdam, la façade du bâtiment a été enfoncée par une voiture bélier qui a ensuite été incendiée.
Les deux attentats n’ont heureusement pas fait de victimes. Ils sont la suite logique de leur révélation : les deux journaux avaient en effet diffusé le nom de de Ridouan Taghi, impliqué dans de nombreuses affaires criminelles. Ces deux attentats ont un objectif de représailles très prononcé. Six suspects ont été identifiés, et en juin 2020, douze ans d’emprisonnement ont été requis contre chacun d’eux pour attentat contre la liberté de la presse.
Enfin, en avril 2021, le club a été dissous par un juge du tribunal d’Amsterdam. Ce n’est pas le premier à subir cette décision de justice.
Des clubs comme les No Surrender, les Hell’s Angels, les Satudarah et les Bandidos ont également subi les foudres de la justice pour des faits similaires. Dans la mesure où plusieurs affaires sont en cours contre les membres fondateurs des Caloh Wagoh, la décision de dissoudre le club a été prise. Toutefois, cela ne semble être qu’une solution passagère puisque le milieu des motards criminels s’apparente à une sorte d’hydre : quand on coupe une tête quelque part, trois autres repoussent ailleurs. Évidemment, l’avocat du gang à affirmé sur Twitter que le moto club avait fait appel de cette décision.
Conclusion
La naissance et l’évolution des clubs de motards reste un phénomène passionnant à étudier, en particulier parce que ce mouvement moderne, né d’une révolte, essaime dans différents pays et selon différentes philosophies. Le cas des Caloh Wagoh est un exemple de ce que les gangs de motards peuvent devenir dans nos temps modernes.
Fort éloigné de la philosophie originelle, il s’agit surtout pour ce club de développer ses activités criminelles sous le couvert de la bonne foi et de l’image quelque peu valorisante des clubs de moto. Sans conteste, nous avons affaire là à une ramification peu glorieuse du grand banditisme européen.