Les clubs de motards sont constitués, à l’origine, de bikers partageant les mêmes passions, à savoir l’amour de la moto, les grandes virées entre potes, les soirées arrosées, le partage autour de valeurs communes… mais de fait le phénomène est bien plus complexe et plus vaste que ça. Il s’agit en réalité d’un véritable mouvement de réaction aux mouvements sociaux et politiques environnants, qui produisent par extension ce désir, commun aux clubs, de s’écarter des règles et des valeurs contemporaines pour retrouver une forme de liberté sentie comme perdue. Il s’agit, en quelque sorte, de renouer avec une nature que le poids de l’histoire et de la civilisation aurait étouffée. De fait, l’apparition des clubs de motards dans l’histoire coïncide avec les grandes périodes de répression et de perte de confiance dans les valeurs civilisationnelles. La genèse et l’évolution du Gremium MC, nous le verrons, témoignent de ce mouvement de réaction.
Sommaire
Origines du Gremium MC
Tout comme nos plus vieilles histoires personnelles sont souvent le fruit du hasard, de notre cursus et des rencontres inopinées, les clubs de motards sont issus d’amitiés nouées au fil de l’eau, de telle sorte que la véritable biographie des grands clubs est parfois floue, ou passée au tamis de la mythologie s’étant cristallisée postérieurement. Nous savons, quoi qu’il en soit, que le Gremium MC s’est formé en 1972 dans la ville allemande de Mannheim. De ce qui fut probablement la rencontre dans un bar, un magasin de disques ou de tatouages, rien ne nous est parvenu. Mais les premières discussions grossirent certainement jusqu’à prendre une tournure plus officielle.
Il faut croire que cette création correspondait à un besoin d’appartenance chez ces motards puisque les effectifs du club ont très vite grimpé. Ainsi, les premiers chapitres, c’est-à-dire des sortes de relais locaux, sont apparus un peu partout dans le pays, puis dans toute l’Europe et dans le monde entier, à tel point que le club prétend être l’un des plus fournis du globe, à l’image des Hell’s Angels ou des Bandidos. En réalité, ces chiffres sont difficiles à confirmer, les effectifs réels étant difficiles à quantifier. Cela est une constante chez les gangs de motards : il y a un réel écart entre ce que nous pouvons en connaître et ce qui s’y passe réellement. Dans la mesure où ce qui s’y déroule est souvent en-dehors de la légalité, nul doute que peu de papiers officiels ou d’autorisations en préfecture sont faites, de telle sorte que c’est par ricochet, par information de seconde main que les renseignements nous parviennent. Ce dont le club est fier, c’est le nombre de chapitres non seulement en Allemagne, mais dans le monde.
En effet, le Gremium MC possède plus de soixante-dix clubs outre-Rhin, et semble représenté aux quatre coins du globe : en Autriche, en Belgique, en Bosnie-Herzégovine, au Brésil, au Chili, au Danemark, en Italie, en Espagne, en France, en Macédoine, au Mexique, en Norvège, aux Pays-Bas, au Paraguay, en Pologne, au Portugal, en Roumanie, en Russie, en Serbie, en Slovénie, en Thaïlande, en Turquie et au Vénézuela. Plusieurs remarques sont à soulever : d’une part, il n’y a aucun chapitre aux Etats-Unis, ce qui est assez étonnant dans la culture des gangs de motards.
En effet, les States sont souvent considérés par les Bikers comme une sorte de Terre d’origine, et posséder un chapitre dans un État américain serait une sorte de fierté. Peut-être cela faudrait-il le prendre, au contraire, comme une forme de revendication, une façon de dire qu’il n’est nul besoin d’avoir l’aval américain pour prospérer en tant que MC. D’autre part, des éléments sont à nuancer quant à cette internationalisation : il s’agit moins de porter les couleurs du club dans une forme d’unité glorieuse par-delà les frontières que de considérer ces alliances comme autant d’alliances politiques.
Les affaires du club trempant régulièrement dans l’illégalité, il est d’autant plus facile, pour un membre ayant besoin de disparaître, de s’évaporer dans un chapitre situé de l’autre côté du globe, et possédant une législation différente. Cela complique considérablement le travail de la police, obligée de multiplier les procédures nécessaires. Partir, c’est s’enfuir, avec l’assurance de s’évaporer le temps de se faire oublier. Enfin, les pays disposant de chapitres ne sont, pour certains, pas choisis au hasard, mais en fonction de leurs productions locales. Ne nous y trompons pas: il s’agit clairement de favoriser le trafic de drogue entre les pays. Ainsi, la fondation et l’évolution du Grémium MC se fait selon des règles qui sont propres à la plupart des gangs de motards, c’est-à-dire celles de l’illégalité et d’une vie à la marge du monde.
Les Spécificités du club
Le positionnement du Gremium MC est assez inédit. Là où les autres clubs de motards cherchent leurs propres valeurs dans leur histoire, les bikers du club allemand s’ancrent dans une tradition beaucoup plus ancienne, que l’on croirait héritée, même si cela n’est jamais exprimé explicitement, du monde des chevaliers. De fait, nous le verrons, de nombreux symboles font référence à l’ordre des Templiers. Cela est assez étonnant et donne au club un vernis d’authenticité, une profondeur qui lui donne une certaine stature. Par ailleurs, les règles du club sont, comme souvent, assez explicites : il s’agit, en intégrant le club, de dédier sa vie au groupe, de subordonner sa vie professionnelle et familiale aux valeurs véhiculées par le groupe. Ce faisant, beaucoup de sacrifices sont demandés à la jeune recrue.
Le mot “sacrifice” revient d’ailleurs très régulièrement sur les sites Internet des chapitres du club. Ces pages ont d’ailleurs la prudence de ne jamais entrer dans les détails, mais on peut aisément supposer qu’entrer dans le club implique une forme de cooptation de la part de membres plus aguerris. Il s’agit d’éprouver le nouveau venu afin d’évaluer sa fidélité.
Si jamais le jeune motard ne semble pas apte à suivre le groupe, y compris dans ses travers, il ne sera pas admis. On peut aisément déduire que cette forme de bizutage doit prendre des mois, voire des années. De fait, ce n’est pas au groupe de s’adapter aux valeurs du motard, mais bien à ce dernier de conformer sa vie à celle du groupe. La cordialité ne semble pas être l’une des valeurs fondamentales du Gremium MC. Évidemment, et cela est toujours triste au vingt-et-unième siècle, les personnes racisées ne semblent pas les bienvenus au sein du club, ce racisme révoltant est malheureusement toujours de mise.
De même, les femmes n’ont rien à faire dans le club. Elles sont tolérées lors des manifestations mais il n’est pas question de les admettre au sein du groupe. Nous pouvons assez facilement parler de philosophie élective, de sélection selon des critères qui nous paraissent hors du temps.
Les Couleurs et le Code d’Honneur du Rebels MC
Nous l’avons vu, intégrer un club de motards entraîne une mise à l’écart d’une bonne partie de la vie familiale et professionnelle du membre, il s’agit d’une réelle intronisation. Cela passe par l’adoption de tout un code de valeurs et d’un style vestimentaire grâce auquel on reconnaît aisément les bikers. Le Gremium MC n’y fait pas exception et impose le port du kutte cuir, célèbre dans les gangs de motards tout comme la conduite d’une grosse moto, de préférence américaine et d’une cylindrée supérieure à mille centimètres cube. Le dos du motard est orné de ce qu’on appelle un patch, c’est-à-dire un logo représentant les valeurs du club de manière allégorique.
Le patch du Gremium MC est particulièrement élaboré et intéressant. Dans un ovale, on aperçoit un poing fermé, dressé en l’air, face à nous, avec en arrière-plan un soleil brillant, les rayons du soleil sont figurés par autant de pointe. En dessous de ce poing est mentionné, en écriture gothique, le nom “Gremium”, puis une croix qui rappelle explicitement celle des Templiers orne le bas du schéma. De part et d’autre de cette croix sont représentées les lettres M et C. Enfin, le nom du chapitre est écrit en dessous, ce qui permet aux motards de savoir exactement d’où ils proviennent. Les messages véhiculés par ce patch sont éloquents, ils mentionnent cette appartenance supposée à une tradition beaucoup plus ancienne, et n’est pas sans rappeler une appartenance à des groupes d’extrême droite.
De fait, la tolérance et l’ouverture d’esprit ne semblent pas être des valeurs fondamentales pour ce gang. Autre élément important, le logo n’est composé que de noir et blanc, cela est mentionné sur la plupart des sites Internet du club. Cette insistance reflète une forme de radicalité, comme si la couleur supposait déjà une sorte de compromission, une recherche de nuances à laquelle les motards du club ne tiennent pas.
Accusations criminelles et justice
On peut aisément s’en douter, le club a un très lourd passé avec la justice, comme la plupart des gangs de motards. Il ne s’agit pas de faire un relevé exhaustif de toutes les affaires dans lesquelles le club a trempé, mais de mentionner parmi les plus célèbres. Revenons à ce que nous disions, à savoir qu’il y a un réel écart entre les échos qui nous sont parvenus par les différents papiers officiels et ce qui se passe dans les faits. Les clubs de motards ne sont pas très avares de renseignements quant à leurs méfaits, et à en croire les sites Internet, c’est toujours la police et la justice qui ne comprennent pas les bonnes intentions du club.
Il s’agit évidemment de ne pas rester dupe et de considérer tout cela avec un peu de recul. La légitimité même du club a été remise en question par les autorités, qui ont décidé, par le Ministère de l’Intérieur, de dissoudre purement et simplement le club en 1988, en raison de son fonctionnement étant assimilé à celui d’une organisation criminelle. Suite à différentes procédures d’appel, cette décision a été cassée en 1992, au motif que les accusations portent davantage sur des membres que sur des personnes. Pour autant, avec divers autres clubs, le Gremium MC est régulièrement visé par des chefs d’accusation tels que le proxénétisme, le trafic de drogue, la vente illégale d’armes, les attaques à main armée… En 2011, trois membres furent condamnés pour avoir pénétré par effraction le chapitre de Seinfeld pour assassiner le président du club.
Heureusement, leur but n’a pas été atteint. La même année, cinq membres furent jugés pour extorsion et trafic d’armes. La France ne fait pas non plus office d’exemple, puisque le président du Gremium dans l’hexagone n’est autre que Serge Ayoub, militant d’extrême droite ayant dissous son club des Praetorians MC pour le fusionner avec le Gremium MC. Dans les faits, il semble que cette adhésion au club serve davantage de couverture à la milice de son président.
D’ailleurs, de nombreuses personnalités issues de groupuscules de l’extrême droite française (le White Wolf Klan, le Picard Crew ou Génération Identitaire) rejoignent le club du Gremium MC. Nous pouvons constater que le Gremium MC s’illustre régulièrement dans des affaires de vols, de trafic de drogue, de violence et d’escroquerie. Il a également affaire aux Hell’s Angels, qui semble être son ennemi de toujours, pour des raisons qui ne nous sont pas parvenues.
Conclusion
Le Gremium MC est un club à part, et en même temps très semblable aux autres clubs. Il a en commun avec ses rivaux un goût prononcé pour l’illégalité, la violence, il prône des opinions politiques très tranchées et semble peu porté sur le dialogue et la paix.
Mais en quelque sorte il paraît encore plus radical que les autres, car quand les clubs de motards plus traditionnels n’ont pas spécialement de portée ou d’opinion politique, le Gremium MC semble très infiltré dans les milieux d’extrême droite, ce qui le rend parfois peu sympathique.