C’est dans la seconde moitié du vingtième siècle que les clubs de motards firent leur apparition sur les grandes routes à travers le monde. Hérité d’un désir de rupture et de liberté, ces générations de jeunes gens avaient à cœur de se retrouver autour de valeurs communes, loin de celles qui avaient amené leurs familles et leurs amis sur les noirs chemins de la guerre. La moto, ainsi, symbolisait cette aspiration à la liberté. Dangereuses, bruyantes, exigeantes, les grosses cylindrées concentraient à elles seules toutes les velléités de ces nouveaux motards. C’est en Amérique que le mouvement naquit, dans les garages enfumés sentant l’huile chaude, au son de la musique rock, ou dans les magasins de tatouages ou de disques. Et ainsi les clubs de motards, qu’on appelait désormais des bikers, se constituèrent et arpentèrent les routes, non sans toutefois traîner derrière eux une sulfureuse réputation. Cette trajectoire est celle du club des bandidos, certainement l’un des plus célèbres au monde.
Sommaire
Les Origines du Bandidos MC
Le Bandidos MC a vu le jour au Texas, plus précisément à San Léon, en 1966. C’est un ancien Marine ayant fait ses armes au Viet-Nam, Donald Eugène Chambers (1930-1999) qui l’a fondé après avoir quitté l’armée. Comme souvent, l’origine précise de la fondation du club remonte à pas grand-chose, à une anecdote qui a retenu l’attention et qui est passée à la postérité, tout comme le nom de Mercedes était le prénom de la fille du concessionnaire de Daimler ayant commercialisé le premier modèle.
Pour le club des bandidos, c’est d’une réplique qu’il a été tiré, la réplique d’une serveuse mexicaine les ayant annoncés, à l’entrée d’un restaurant: “That’s Don Chambers and his Bandidos !” Il n’en fallait pas davantage : la légende était née. Par la suite, en raison d’un alignement certain des étoiles, et la forte demande d’une jeunesse en mal de sensations fortes et de vie à la marge, les bandidos accrurent leur popularité et devint l’un des clubs les plus unis et les plus soudés qui soient, dans le bon mais surtout dans les nombreuses épreuves qu’ils traversèrent. A la fin des années 1970, déjà cent-soixante-dix motards avaient rejoint le gang pour parcourir la route et tisser des liens.
A ce jour, avec les Hell’s Angels, les Bandidos sont certainement le club qui comporte le plus de chapitres et le plus de membres à travers le monde. En effet, il n’a pas moins de quatre-vingt-dix chapitres aux États-Unis (Texas, évidemment, mais aussi en Louisiane, au Mississippi, en Alabama, en Arkansas, au Nouveau-Mexique, au Colorado, au Montana, au Wyoming, en Dakota du Sud, en Utah, dans l’Ohio, au Nevada, dans l’état de Washington, en Oklahoma et au Nebraska, rien que cela) ; et plus de cent-dix-chapitres en Europe, en Asie et en Australie.
Inutile de dire que les bandidos constituent désormais une sorte d’hydre très difficile à cerner, facilitant ainsi les subites évaporations de certains membres à l’autre bout du monde si les besoins s’en font sentir : nul doute qu’un membre américain dans le pétrin trouvera en Asie, un camarade prêt à l’accueillir. Cette densité géographique complique considérablement le travail de la justice, et donne aux bandidos une grande latitude. Nous l’avons compris : le club n’est pas prêt de fermer ses portes !
Nous l’avons évoqué, la première spécificité du club, que l’on retrouve chez tous les gangs mais rarement à un tel degré, est la très profonde solidarité qui les lie les uns aux autres. Héritiers d’une génération qui les a délaissés, ou dont ils se sont sentis abandonnés, les bandidos ont à cœur de se créer entre eux des liens indéfectibles. Ainsi, en très peu de temps, ils peuvent se réunir et voler au secours de l’un d’entre eux, qui aurait des problèmes. Une autre spécificité, conséquence de la première, réside dans l’internationalisation des bandidos. Nous avons évoqué les nombreux pays accueillant des chapitres du club. Chacun d’eux possède un président, un vice-président, des sergents d’armes… et une liste systématiquement à jour de l’ensemble des membres.
C’est un véritable organigramme digne d’une entreprise qui est ainsi monté. Cela est très beau mais surtout très pratique. A l’ère d’internet, des téléphones mobiles et des réseaux sociaux, la circulation des biens et des marchandises est ainsi facilitée, et les nombreux trafics en tout genre peuvent se faire de manière bien plus dense et confiante. Le site internet des bandidos évoque l’ ”European Umbrella Association”, en évoquant les chapitres européens. Des chapitres “parapluies”, pour se protéger des éclaboussures judiciaires, sans nul doute.
Une troisième spécificité repose dans la capacité des bandidos à absorber d’autres club,s plus modestes et n’ayant pas le même rayonnement ni les mêmes moyens. Les bandidos sont ouverts à ce genre de syncrétisme et acceptent dans leur communauté d’autres organisations pour les faire s’agrandir, à l’instar des romains qui considéraient comme les leurs tous les citoyens libres, qui le demandaient. Cela leur permet d’éviter des affrontements toujours inutiles, d’étendre leur territoire et de tisser de nouveaux contacts, susceptibles de leur proposer des affaires ou de les accompagner lors de leurs chevauchées.
Chevauchées qui sont presque surveillées, dans la mesure où les bandidos, et c’est sans doute une autre de leurs caractéristiques, sont extrêmement attachés à leurs grosses cylindrées, au point de décerner aux membres des sortes de patchs à mettre sur leur blouson à mesure des kilomètres qu’ils ont faits avec le groupe: 15000, 25000, 35000 et 50000 kilomètres. Cela semble curieux par rapport à d’autres clubs, comme les Osmanen Germania d’Allemagne, pour qui la moto est presque un accessoire secondaire du club.
Chaque membre de chaque club, et cela est certainement la seule chose qui les réunit tous, choisit, à son entrée dans le groupe, d’adopter un style de vie à part, celui des célèbres 1%. Cette expression, à laquelle les bandidos tiennent énormément, au point de lui consacrer une très longue page sur leur site internet, désigne les 1% des motards refusant de se soumettre aux règles du commun des mortels, et vivant une vie hors-la-loi, contrairement aux 99% autres motards « qui eux » considérés comme des moutons, restent dans la tristesse d’une vie terne, mais légale. Cette appellation est importante pour les bandidos, et ils respectent à la lettre ce principe de vie peut-être plus risquée et en-dehors des clous, mais qui vaudrait vraiment la peine d’être vécue. Ainsi, banditisme, agressions, vols et trafics font partie du quotidien du gang, ce qui leur a valu entre autres d’être fichés par le FBI.
Il leur a fallu toutefois trouver un logo commun, un “patch” qui les distingue. Ce logo, visible au dos des blousons de chaque motard des 1%, permet de distinguer le club et le chapitre auquel il appartient. Celui des bandidos est assez curieux, venant de la part de l’un des gangs les plus populaires et les plus dangereux au monde. En effet, là où nous nous attendons aux motifs habituels (un crâne, des armes, des ailes…), figure fièrement un personnage mexicain, sombrero dans une main, épée dans l’autre, issu d’une publicité pour des chips Lay’s.
Le dessin a depuis été travaillé, pour être diffusé dans le monde entier jusqu’à orner le dos de tous les membres du club. Sa version définitive représente le même bonhomme, mais de profil : bedonnant, il tient toujours son pistolet pointé devant lui, ainsi que son sabre. L’immense sombrero rouge et jaune est toujours posé sur sa tête. Il a les traits contractés, et semble sur le point de tirer. Il y a dans ce dessin un contraste entre l’aspect amusant du personnage, d’après sa tenue, les différents poncifs de la culture mexicaine ou son ventre rebondi ; et son attitude prête à l’attaque.
Le message semble assez clair : les bandidos ne sont pas fondamentalement de mauvais bougres, mais il ne faut pas les provoquer, car la riposte peut être terrible. De fait, cela est vrai : beaucoup de différents viennent de ce qu’un membre a été provoqué, entraînant l’intervention de ses “frères”, comme ils s’appellent entre eux. La fusillade de Waco en 2015, au Texas, 200 personnes tout de même, a précisément cette origine : tout est parti d’une insulte.
Pour revenir au patch des bandidos, le personnage est surmonté du nom du club, en rouge sur fond jaune, et en dessous figure le nom du chapitre, selon le même lettrage. A gauche est cousu le célèbre écusson “1%” et à droite la mention “MC”. Figurera également la mention du nombre de kilomètres faits par le motard avec la communauté, qui vaut comme une mention de son ancienneté, au sein du groupe.
Les bandidos, comme la plupart des gangs, possèdent un “motto”, un slogan qui résume leur philosophie. Le leur est “We are the people our parents warmed us about”, traduit par “nous sommes les gens dont nos parents nous disaient de nous méfier.” Morale intéressante à plus d’un titre, car nous retrouvons encore ce double sens déjà présent dans le logo du groupe.
D’une part, il renvoie à un imaginaire bien connu des “mauvais garçons” dont il faut se méfier, ceux qui ne font rien de leur vie et qui mènent leur barque d’une façon, que les parents redoutent pour leurs enfants. Mais on peut également le comprendre dans un contexte historique et social, à savoir comme un rejet de la génération précédente qui n’a pas été en mesure d’éviter ce qu’elle a fait subir à ses enfants : les guerres, les crises économiques, la répression à outrance… Ce slogan illustre bien une perte de confiance dans les valeurs traditionnelles, la plus forte d’entre elles étant bien sûr la famille : il n’y a qu’à ses frères du groupe que l’on peut se fier.
Et ne devient pas frère qui veut : l’aspirant bandido, évidemment un homme majeur possédant une grosse cylindrée américaine, doit montrer patte blanche durant deux longues périodes, celle de “prospect”, douze mois minimum, et celle de “probationary”, six mois minimum, avant d’être, au terme d’une épreuve, autorisé à porter le fameux “patch” sur son kutte cuir, assuré par ce qui ressemble à un parrain qui lui est dans le club depuis au moins cinq ans. C’est dire à quel point nous sommes loin d’une association traditionnelle où un simple chèque d’adhésion autorise un droit d’entrée.
En revanche, celui qui a intégré le gang a trouvé dans les bandidos une vraie famille sur laquelle il pourra compter, tout est d’ailleurs fait, dans cette initiation, pour que le jeune membre ou futur membre ait bien altéré les liens sociaux qu’il avait auparavant pour dédier sa vie au club. Nous ne sommes pas loin d’une forme d’endoctrinement. Et comme tout groupe aspirant à une vie sociale en quasi autarcie, entièrement tournée vers ses intérêts, cela passe par des financements entièrement tournée vers ses intérêts…
Ce qui explique la nécessité de trouver de l’argent pour vivre de sa passion, argent qui ne pousse pas sur les arbres et que les bandidos vont chercher où ils le trouvent.
Associations criminelles et Justice
Comme la plupart des clubs, à l’exceptions de celles comme les Crusaders MC d’Afrique du Sud ou le East Bay Dragons MC d’Oakland, qui mettent un point d’honneur à rester dans le droit chemin et à se mettre au service des autres, les Bandidos s’illustrent dans des actions peu louables et dans les divers coups d’éclat certes répréhensibles mais lucratives. Il s’agit d’abord de nuancer tout ce qu’on leur reproche: la réalité est souvent bien pire.
En effet, il y a un monde entre ce qui parvient aux yeux et aux oreilles du public (les articles de journaux, les compte-rendus d’audience, les rapports de police…) et tout ce qui reste “entre soi”, au sein du club et dont personne n’a ou n’aura jamais connaissance.
De fait les Bandidos, au-delà de l’image amusante que véhicule leur logo et tout le folklore de la moto et du style vestimentaire, constituent une véritable association de malfaiteurs. C’est par continent que nous dresserons un panorama, non exhaustif, de leurs plus célèbres faits d’armes.
États-Unis
La première mission du club consiste peut-être à ne laisser personne l’attaquer, et donc à se défendre lorsqu’on s’en prend à lui. Cela passe par la défense du territoire par rapport aux autres gangs. De fait, les plus grands rivaux des Bandidos sont les Hell’s Angels et les Vagos, avec qui les altercations sont très fréquentes.
Cela a conduit à la fusillade de Waco que nous évoquions tout à l’heure, qui a malheureusement coûté la vie à neuf motards, fait dix-huit blessés et entraîné l’arrestation de cent soixante-cinq membres. Cela fait cher payé pour une rivalité entre gangs qui, dans le fond, ont plus de points communs que de différences. Mais cela ne se limite pas à cela, en effet les Bandidos, surveillés par le département de Justice des Etats-Unis, sorte d’équivalent de notre DGSI, suite à leurs exactions. Ils sont notamment impliqués dans des affaires de trafic de drogue (marijuana, cocaïne et méthamphétamine), trafic d’armes, proxénétisme, blanchiment d’argent, usages d’explosifs, menace avec armes, fraude à l’assurance, kidnapping, vol, contrebande, meurtres, extorsion…
Des journées bien occupées, en somme.
En parcourant les nombreux dossiers, beaucoup d’histoires se ressemblent : bagarre avec des membres des Hell’s Angels en 2007 au Texas ; condamnation de quatre Bandidos pour trafic de méthamphétamine et de cocaïne en septembre 2011 dans le Colorado ; prison à vie pour un autre en 1972, pour le meurtre d’un équivalent de notre gendarmerie, en Louisiane, où le président national du chapitre a lui-même été assassiné en 1974 par un autre membre du club ; prison à vie pour attaque à main armée pour un Bandido, dans le Montana en 1994, Montana où un membre d’un club rival fut séquestré par des membres en 2003 ; trafic et recel d’armes en Oklahoma, ce qui conduisit à la condamnation de quinze Bandidos en 2009…
La liste est longue, et malheureusement, les faits sont assez similaires.
Europe
En France, les rivalités avec les Hell’s Angels fit rage, provoquant, entre 1989 et 1991, de nombreuses arrestations pour attaques à main armée et meurtre de deux membres du club rival des Bandidos. A Saint-Malo, en 2003, l’un des membres fut arrêté alors qu’il était sur le point d’expédier deux-cent kilos de cannabis ; et à Dijon, en 2013, le chapitre local fut perquisitionné, à raison puisqu’une cinquantaine d’armes à feu (carabines, pistolets…) y a été retrouvée et confisquée par la police, qui procéda par la même occasion à l’arrestation de deux membres accusés de trafic de drogue.
Plus récemment, c’est pour braquage d’un concessionnaire Harley Davidson en 2019, toujours dans le chapitre de Dijon, que deux membres des Bandidos furent condamnés.
Non loin de là, en Allemagne, c’est le comté de la Westphalie qui donna du fil à retordre aux forces de l’ordre, puisque les Bandidos s’y livraient à du trafic d’armes et des braquages. C’est ainsi qu’en 2012 plusieurs gangs de motards dont celui qui nous intéresse furent bannis du Comté. Du côté de l’Irlande, c’est pour des violences et des bagarres que le chapitre national, pourtant jeune puisque fondé en 2016, est surveillé par la police.
Les Pays-Bas ne sont pas en reste, dans la mesure où ce chapitre, pourtant récent lui aussi, est impliqué dans de nombreuses affaires, notamment du trafic d’armes et du trafic de drogue. En 2014, par exemple, cinq Bandidos furent emprisonnés pour ces chefs d’accusation ; peu de temps après c’est un autre membre qui tomba pour possession illégale d’armes à feu (mitrailleuses, lance-roquettes, fusils d’assaut et autres jouets du même genre) en 2015.
Le reste du monde
Portugal, Espagne, Suède, Norvège… Les Bandidos sont partout, et se distinguent par de nombreux faits d’armes qui se ressemblent. Leurs points communs reste d’une part la recherche de financements pour le club et ses membres, et la défense acharnée de leur territoire et de leur honneur si souvent bafoué. C’est comme ça, sur des petites provocations qui dans le fond ne méritent pas d’être relevées, que les soirées finissent en bain de sang et en bâtiments détruits. Tout se passe comme si ce besoin de riposte était nécessaire. C’est hélas ce qui coûte cher en hommes, membres ou non, et en matériel.
Conclusion
Les Bandidos, de nos jours, sont plus vivants et virulents que jamais. Même si la fréquentation de leurs sites Internet montrent un aspect positif du groupe -les grandes balades au coucher du soleil, les soirées entre amis, les hommages aux membres qui sont partis…
Fondé sur la convivialité, il ne faut pas pour autant être dupe et considérer ce gang comme l’un des plus dangereux et l’un des plus organisés.
De fait, c’est la solidité de son armature interne qui le rend d’autant plus dangereux. Nous l’avons dit: l’indéfectible solidarité qui lie les “frères” (et Dieu sait à quel point il est difficile d’intégrer cette fraternité) leur permet de s’échapper à n’importe quel moment pour se réfugier si le besoin s’en fait sentir. Cela fait donc des Bandidos, avec les Hell’s Angels, leur ennemi de toujours, un club à la fois fascinant à étudier et effrayant à envisager.