Parmi les très nombreux regroupements et clubs de motards, celui des MC Diablos est probablement l’un des plus prolifiques. Il faut savoir que travailler et enquêter sur ces gangs suppose une certaine latitude entre ce que l’on recueille, ce que l’on lit, ce que l’on trouve en croisant les sources, et ce qui s’est réellement passé. En effet, une grande confidentialité entoure leurs actes, si bien que l’on a parfois la sensation de n’avoir affaire qu’à une petite partie de l’iceberg. Le club des Diablos fait partie du club tristement célèbre des 1%, one percent club en anglais. Cette expression obscure désigne la petite partie des motards qui pose problème, par opposition aux 99 % constitués de citoyens modèles. Cette expression est héritée de la police américaine. En réalité, ce qui était à l’origine une opprobre est devenu pour ces motards un véritable signe de ralliement, voire une sorte de revendication. Se pose également la question, nous le verrons, de ce nom si emblématique: court, facile à retenir, faisant référence au diable de la Bible, ce nom est celui de nombreux clubs de motards à travers le monde. Le gang auquel nous faisons référence ici est celui qui a vu le jour en Californie.
Sommaire
Origines du MC Diablos
Les faits relatés ici prennent place dans ce temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, celui où tout n’est pas immédiatement transmis et reporté sur les réseaux sociaux. De telle sorte qu’entre l’histoire rapportée et l’histoire réelle il y a souvent une marge fascinante propre à l’imaginaire, aux ironiques hagiographies, aux imprécisions flatteuses. Il est néanmoins sûr que le club des MC Diablos fut fondé en 1961 dans la petite ville de San Bernardino en Californie, sur la côte ouest des États-Unis. Le fondateur du club se nomme Jack Baltas, il est décédé en Avril 2012 à l’âge de 70 ans, deux jours après sa sortie de prison. Jack purgeait en effet une peine pour trafic de drogues. Dès sa fondation, comme si l’arrivée de ce club répondait à une sorte de besoin des motards à la marge de se rencontrer, le club des Diablos s’étend très rapidement, et de nombreux chapitres furent fondés à travers les États-Unis, y compris juste sur la côte Est. Actuellement, il existe des chapitres des Diablos dans le Connecticut, la Californie, le Maine, L’Indiana, le Massachusetts, le New Hampshire et le Vermont.
Un fait amusant, qui illustre bien le paradoxe de ces gangs de motards, est le fait que Jack Baltas se soit présenté comme “council” de la ville de Meriden (soixante mille habitants, tout de même), dans le Connecticut. Ce titre “council” correspond en quelque sorte à nos conseillers municipaux. En effet, Jack était très apprécié, il savait s’adresser aux gens. Nul doute que ses qualités d’orateur et cette propension à attirer les foules a contribué à l’émergence et à la rapide diffusion des Diablos à travers les États-Unis. Cette tension entre illégalité et désir de s’intégrer et d’être apprécié est une caractéristique des regroupements de motards. Grand banditisme et actions caritatives se côtoient de manière très curieuse.
Les spécificités du club
Devenir un nombre des Diablos, comme dans la plupart des gangs, suppose une loyauté sans faille entre les différents membres. Cela suppose, nous le verrons, des rituels d’intégration, une sorte de bizutage assez musclé. On impose par exemple à tous les membres d’être équipé d’une arme à feu, et l’entrée dans le club ne se fait que par cooptation, il faut d’abord être présenté par quelqu’un: un motard lambda ne peut demander son bulletin d’adhésion ou se présenter incognito à une réunion. Cela donne le ton. En revanche, une fois le jeune motard intégré, il peut compter sur ses camarades. Un exemple frappant caractéristiques des Diablos consiste en l’immense procession funéraire qui entoure l’enterrement de l’un des leurs. En effet, cela est l’occasion pour l’ensemble du gang de faire une immense procession à moto, sans casque, comme pour accompagner le défunt de manière aussi dépouillée que lui. La devise des Diablos illustre bien cette cohésion réunion au sein du gang: “Diablos forever, forever Diablos”. Inutile de traduire cette formule, l’emploi de la figure de style du chiasme est à elle-même emblématique. Ce genre de formule de ralliement, dans sa structure stylistique, se retrouve dans d’autres clubs comme les Bandidos ou les Hell’s Angels.
Une autre caractéristique moins reluisante des Diablos est le fait que les femmes et les personnes racisées ne sont pas admises. Le club n’est constitué que de personnes blanches, une forme de racisme malheureusement caractéristique de la plupart des gangs de motards. Cette suprématie n’est une règle absolue, par exemple le club des Highwaymen accepte toutes les personnes de sexe masculin, mais malheureusement tous n’ont pas encore cette même ouverture d’esprit. Bien entendu, les femmes ne sont pas acceptées non plus comme membres. Elles sont tolérées, mettons, lors des rassemblements, elles peuvent monter à l’arrière des motos, mais elles ne sont pas admises au sein du gang.
Les couleurs et le Code d’honneur des Diablos
Bien évidemment ; un club de motards ne serait pas « un club de motards » si il n’y avait pas de symbole, ni de rituel. Il y a pour tous un code vestimentaire et un style de vie à adopter. Faire partie d’un gang bien au-delà du désir de se rassembler entre potes pour boire des bières. Cela est un véritable style de vie qui impacte la vie de famille et la vie professionnelle. Un code vestimentaire est ainsi implicite. Le gilet de cuir ou le blouson de cuir que portent les motards a presque une valeur d’uniforme, sur lequel on affiche ses différentes appartenances et ou ses différents exploits. Le gang des Diablos est soumis au même phénomène. L’un des faits les plus intéressants est que l’écusson des Diablos ne soit pas resté le même au fil du temps. Si on compare, par exemple au club des Highwaymen, dont le blason n’a pas changé depuis sa création, on peut voir que celui des Diablos est sensiblement différent, à la fois selon l’évolution chronologique et les différents chapitres des États-Unis. Toutefois, la représentation reste quand même assez typique: c’est la figure du Diable, le visage du Diable qui est représenté au dos du gilet. Les couleurs principales sont le rouge et le jaune, cela n’étant guère étonnant dans le cadre d’une représentation biblique traditionnelle du diable. Le mot Diablos MC est évidemment inscrit, ainsi que le nom du chapitre. À l’origine, le personnage du diable est représenté de face, avec un visage longiligne et extrêmement pâle, et un chapeau sur la tête. Muni d’oreilles pointues et de cornes qui dépassent de part et d’autre de son chapeau, il est ainsi assez menaçant. Le mot Diablos est écrit au-dessus de lui, ainsi que le logo en dessous “coast to coast”. Ce slogan est intéressant et illustre bien le désir du club de se propager d’une rive à l’autre des États-Unis. De fait, c’est un défi réussi. Les autres blason que nous avons pu voir représentent la figure du diable de manière plus traditionnelle, un visage rouge cerclé de feu.
Une autre particularité intéressante au sujet des Diablos est que globalement, ils semblent faire l’unanimité auprès des autres gangs. En effet, les rivalités entre les clubs sont très fréquentes, on peut même dire que cela fait partie du fonctionnement. Or les Diablos comptent curieusement davantage d’alliés que d’ennemis. Ils ont en particulier des liens très forts avec les Ching-A-Ling Nomads MC. Évidemment, il ne faut pas non plus basculer dans une sorte d’angélisme. Cette trêve permanente des hostilités est également le fruit d’une collaboration plus que rentable. Les Diablos, comme la plupart des autres clubs de motards, trempent dans des affaires illégales et juteuses, de telle sorte qu’ils se sont aperçus que la collaboration était beaucoup plus fructueuse que la rivalité. Toutefois, si leurs démêlés avec la justice sont, nous le verrons bien plus fréquents, ils ne sont pas tachés du sang des autres motards de clubs rivaux.
Associations criminelles et justice
Soulignons, s’il en était encore besoin, la grande marge entre fiction et réalité. Si les procès, des articles de journaux, et autres rapports de police sont bien authentiques, il est un fait que la très grande majorité des actes illicites commis par les gangs ne sera pas dévoilée, ou alors dans quelques dizaines d’années. Ce que nous allons rapporter ici est le plus saillant, le plus célèbre.
L’un des engagements que signe tacitement le motard intégrant les diablos et le fait de défendre ses camarades quel qu’en soit le prix. Cela suppose évidemment de fréquentes disputes et bagarres qui se soldent malheureusement par de nombreuses condamnations. De fait, au fil des années, les Diablos ont eu maille à partir avec la justice.
En 2017, par exemple, une fusillade a éclaté dans un bar situé à Terre Haute, dans un club des Diablos, dans l’Indiana. Cette fusillade a opposé une trentaine de membres du club à un autre individu qui s’en était pris à eux. Cela aboutit à la quasi destruction du bar, ainsi qu’à de nombreuses condamnations. De fait, la plupart des membres du club traîne un lourd casier judiciaire. Le fondateur du club lui-même, nous l’avons dit, est mort quelques jours après être sorti de prison pour trafic de drogue. De même, les meurtres sont assez fréquents dans ce milieu. Nous pouvons citer par exemple le cas de Raymond “Stoney” Stone, condamné à 20 ans de prison en 1998. Raymond fut le seul, sur les sept membres inculpés, à avoir avoué un crime commis en 1992.
Une autre triste figure du gang est Keith Gallagher, vice-président du club qui pourtant faisait du trafic de drogue. Il fut mis en prison en janvier 2006. La même année, un autre membre, Jerry Louis Fantauzzi, dut purger dix ans pour les mêmes chefs d’accusation. De fait, les mêmes éléments reviennent dans les dossiers: trafic de drogues, attaques à main armée, trafic d’armes, proxénétisme… Mais dans le même temps, les Diablos ont à cœur d’offrir une image sympathique auprès de la population, notamment par le biais d’actions caritatives: aides à la personne, balades en moto… Cette tension entre goût pour l’illégalité et désir de se faire bien bien voir est constante chez les gangs. D’ailleurs, cela prête presque à sourire, mais les Diablos aux se sont mis aux réseaux sociaux, comme pour attirer les motards plus jeunes, et pour se détacher de l’image peu reluisante qui leur colle à la peau. Ainsi, ils ont ouvert une page Youtube, une page Facebook qu’ils alimentent régulièrement, avec des vidéos de leurs sorties, de leurs soirées… il est assez facile, en regardant des vidéos, de se faire une idée de l’ambiance qui règne durant ces rassemblements. On ne peut pas dire qu’elle soit fort studieuse.
Conclusion
En définitive, le cas du gang des Diablos est intéressant à bien des égards. En effet, il s’agit probablement de l’un des gangs portant les plus lourds casiers judiciaires, avec des ramifications extrêmement prolifiques. Toutefois c’est certainement lui qui a à cœur d’offrir une image très lisse. On sent une certaine rigueur, un certain désir de sélectionner des membres en fonction de leur loyauté et de leur capacité à défendre leurs camarades, dans les épreuves « les plus éprouvantes ». En même temps, les Diablos offrent un exemple, de ce que peuvent devenir les gangs à l’ère de la modernité et à l’ère d’Internet. Cela n’est pas nécessairement une mauvaise chose que de constater ce renouvellement.