C’est au cours de la seconde moitié du 20e siècle que les clubs de motards ont vu le jour. Ce qui était à l’origine un simple rassemblement entre amis autour de valeurs communes est devenu un phénomène mondial qui a largement dépassé les règles généralement admises au sein d’un groupe. Il s’agit de se démarquer, de rester à la marge généralement par le biais d’actions délictueuses et très violentes. De telle sorte que ces groupes de motards ont été surnommés le groupe des 1 %. Cette expression curieuse et héritée de la police désigne les 1 % de motards résolus à ne pas respecter la loi, par opposition au 99 % des motards restants qui eux affichent un style de vie exemplaire. Le groupe des MC Nightwolfs, fondé tardivement, comparativement aux grands autres gangs, ne fait malheureusement pas exception à cette règle et constitue un exemple particulièrement intéressant. La première remarque atypique réside dans le fait que ce club est d’origine russe, alors que les autres sont le plus souvent américains. Comme quoi, la guerre froide n’est pas seulement réservée au domaine politique.
Sommaire
Origines du MC Nightwolves
C’est en Europe orientale, dans la grande Russie, que le club des MC Nightwolves a vu le jour, plus précisément en 1989, dans le contexte très particulier de la perestroïka, signifiant littéralement la reconstruction, initiée par le président de l’époque Mikhaïl Gorbatchev. Cette précision a son importance, car elle permet de resituer la création du club dans cet univers historique bien particulier, dans la mesure où les Russes éprouvaient cette rivalité permanente avec le prestige américain et ressentaient le désir d’acquérir une légitimité sentie comme étant perdue. Le fondateur historique du club se nomme Alexandre Zaldostanov. Ce chirurgien-dentiste de formation est le nom revenant le plus fréquemment durant les enquêtes que nous avons faites. C’est dans cette ambiance de concerts de rock, de rassemblements de motard et de grandes virées moscovites, qui remonte déjà depuis 1983, que le club s’est consolidé et s’est formé de manière très informelle. Toutefois, le temps passant et le contexte politique étant particulièrement difficile, le club s’est soudé et a acquis une structure plus sérieuse. Si bien qu’à la fin des années 2010, les Nightwolves possèdent désormais des chapitres en Russie, en Ukraine, en Allemagne, en Serbie, en Roumanie, en Bulgarie, en Australie, en Slovaquie, au Bélarus, dans les Philippines, en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro, en République tchèque et jusqu’en Macédonie. Pas moins de 103 chapitres en Russie et 17 chapitres à l’étranger…Une telle expansion peut s’expliquer de différentes manières. La majorité des pays cités sont de petits états, des états assez proches de telle sorte que la diffusion est quand même plus simple que dans les immenses surfaces des terres américaines. De plus, l’apparition plus récente de ce club suppose aussi des facilités de communication que d’autres clubs fondés par exemple dans les années 50 n’avaient pas, les connexions étant plus rapides et plus simples. Les ramifications du club des Nightwolves sont ainsi plus étendues. Il n’en reste pas moins que ce club reste extrêmement politisé, y compris dans le contexte politique mondial actuel.
Une autre différence de poids entre le club des Nightwolves et les autres clubs plus traditionnels, réside dans le très fort sentiment patriotique. En effet, les rapprochements entre les Nightwolves et le président russe Vladimir Poutine sont très fréquents, le club ne cachant pas son idéologie d’extrême droite. La fréquentation du site des Nightwolves par exemple est éloquente à cet égard, et les très nombreuses photos de rencontres entre le président et Alexander Zadolstanov montrent à quel point ce club reste attaché à son pays. Cela nourrit de très nombreuses rancœurs à l’égard des clubs américains, qu’ils considèrent comme étant un pays ayant volé, spolié les droits des indigènes qui y vivaient. À en lire par exemple une lettre publique d’un motard russe adressée à un motard américain, le message est clair : les motards russes « ne s’opposent pas à l’État et ne le considèrent pas comme dégoûtant ». Ce nationalisme exacerbé les poussera, nous le verrons, à de nombreux excès.
Les spécificités du club
Nous venons de l’évoquer. La spécificité du club réside dans son très fort sentiment patriotique. Cela peut s’expliquer sociologiquement et politiquement de nombreuses manières, déjà dans le contexte de création du club, dans cette politique de reconstruction, et donc de survalorisation du peuple russe initiée par Mikhaïl Gorbatchev. De plus, une sorte de confidentialité autour de cet état russe et de ses actions internes, alliée à la philosophie même d’un gang de motards qui est d’être à la marge et donc de maintenir une certaine opacité, concourt à ce que ces motards des Nightwolves considèrent leurs actions légitimes et justifiées tant philosophiquement que spirituellement.
S’il y a quelque chose qu’on ne peut pas reprocher aux Nightwolves, c’est leur manque de transparence. Leur message est parfaitement clair. Ils ne tolèrent pas ce qu’ils appellent, toujours pour citer un passage de leur site, “des parasites qui pourraient s’accrocher au navire du club”. Sont désignées si gracieusement les femmes, qui ne sont évidemment pas tolérées en tant que membre si ce n’est pour faire une forme de figuration. Cela désigne également les aspirants qui ne seraient pas de couleur blanche, les homosexuels, et les étrangers. Il y a un réel désir de conserver une forme de pureté nationaliste dans ce gang. Recourant volontiers au langage biblique et au personnage de Judas, les membres du gang visent à préserver cette pureté originelle. Ils sont également très proches de l’Église russe orthodoxe, peu connue pour son ouverture d’esprit et ses positions de tolérance vis-à-vis de l’homosexualité. Homophobe, sexiste, c’est une forme de violence qui caractérise également ce club. Il y a également une dimension commerciale : le gang s’est diversifié dans une activité musicale, et une véritable vente de ce qu’on appellerait des produits dérivés: des vêtements, des équipements de moto, des magasins de tatouage, une structure d’organisation de concert de rock… Cette dimension commerciale s’étend également à l’international avec des sociétés établies sous le nom de Wolf, qui recouvrent différentes compagnies de sécurité: gardes du corps, protection armée, protection lors de transfert de matériel ou de de sommes d’argent. On pourrait parler d’une forme d’activité mercenaire.
Nous sommes finalement assez loin de l’image que souhaitent dégager les gangs de motards américain. Belliqueux, les Nightwolves affichent clairement une forme d’hostilité.
Les couleurs et les codes d’honneur des Nightwolves
Évidemment, un club de motards ne serait pas digne de ce nom s’ il n’y avait pas toute une sorte de panoplie qui les accompagne. Les grosses cylindrées, le goût pour les virées entre potes, les habits, les formules de ralliement…tout un folklore vient ainsi caractériser ces gangs. Celui des Nightwolves ne fait pas exception. Toutefois, en raison du très grand nombre de chapitres et de membres répartis en Russie et à travers toute l’Europe orientale, il existe une grande variété de blasons et de dessins qui représentent le gang. L’icone originale représente une tête de loup de profil, gueule ouverte, dents saillantes, cette gueule semblant propulsée comme une balle. A l’arrière de la crinière on peut distinguer des flammes qui symbolisent la vitesse. En fond on distingue un cercle blanc qui pourrait être assimilé à une pleine lune ou une forme d’éclairage. Au-dessus du logo se trouve le nom du club, évidemment écrit en russe. Ce logo est écrit en lettres noires sur fond rouge. En dessous se trouve avec la même police d’écriture le nom du chapitre auquel appartient le motard. Le choix de cet animal est en lui-même significatif, le loup symbolisant une forme d’agressivité, de sauvagerie et de solitude. Retranché, discret, le loup est néanmoins susceptible de passer à l’attaque à n’importe quel moment. C’est à cet imaginaire que fait référence le blason du club.
Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer dans une partie précédente la dimension extrêmement belliqueuse et sectaire des Nightwolves. Homophobes, sexistes, en lien très proche avec le gouvernement de Vladimir Poutine ainsi qu’avec l’Église russe orthodoxe, les Nightwolves ne sont pas des enfants de chœur. Toutefois, une forme de solidarité indéfectible semble lier les membres de du gang, presque malgré eux. Ainsi, une fois intégré, l’attache pour le club passe bien au-delà des préoccupations matérielles, familiales ou professionnelles du membre. Les Nightwolves demandent une forme de renonciation à la vie personnelle, aux intérêts domestiques et aux valeurs les plus courantes au nom du club. Les conditions de cette adhésion ne sont même pas définies clairement, une formule de leur site Internet résume cela: “pour être dans le club, il faut être dans le club”. Cela est énigmatique et suppose des rituels d’acceptation probablement difficiles pour le nouveau membre. De même, quitter le club ne se fera certainement pas sans dommage.
Associations criminelles et justice
Évidemment, il faudrait être bien candide pour croire que ce gang n’a pas de nombreux démêlés avec la justice. Ce qui est assez marginal par rapport aux autres clubs que nous avons pu étudier, c’est que les exactions de Nightwolves se situent à la fois à l’intérieur des frontières russes mais également à l’extérieur de ces frontières. Par exemple, les forces navales ukrainiennes situées à Sébastopol ont ainsi été attaquées par des membres des Nightwolves en 2014. Cette agression a été ordonnée par le GRU, agence de renseignement extérieur russe. Nous mesurons ainsi à quel point les Nightwolves sont partie prenante de la politique extérieure du pays. Ainsi, voyant leurs activités, l’OTAN a décidé de les suivre de très près. Le club cultive également une forme de propagande, les photos sur lesquelles le leader Alexander Zaldostanov s’affiche avec Vladimir Poutine sont extrêmement nombreuses, nous voyons même le président russe conduire fièrement une grosse cylindrée lors de manifestations du club. De même, Ramzan Kadyrov, président de la République tchèque a intégré le club en 2014.
Au quotidien, les faits d’armes sont malheureusement très nombreux et il est difficile de toujours les distinguer. C’est dire qu’une certaine confidentialité entoure les actions de ces clubs, et une véritable mythologie se tisse entre ce qui est réellement arrivé et les rapports officiels que l’on peut avoir dans les journaux, les rapports de police ou les verdicts de procès. Ainsi, les exemples que nous pouvons donner pour illustrer la triste réputation des Nightwolves n’est qu’une petite partie de l’iceberg. Ainsi, en 2012 une fusillade éclate dans un club de Zelenograd. Cette fusillade a pour origine une rivalité entre deux clubs, celui des Bandidos, allié des Tri Dorogi, et les Nightwolves. Il y a malheureusement une personne qui a été tuée durant cette fusillade. Le motif principal de cet affrontement réside dans le fait que les Nightwolves ne toléraient pas que des motos américaines touchent le sol russe. Nous mesurons évidemment le poids de la guerre froide, ainsi qu’une certaine puérilité.
Dans un autre registre, un rapport présenté par Alexis Navalny, célèbre figure de l’opposition au pouvoir russe, affirme que entre 2013 et 2014 les Nightwolves auraient touché cinquante-six millions de roubles, ce qui représente tout de même un petit peu plus d’un million de dollars, de la part du gouvernement. Ces sommes auraient été versées sous la forme de cadeaux, de gratifications offertes au club. Ainsi, de très nombreux spectacles vantant la virilité et la force des membres du club, ainsi que son patriotisme, ont été tournés entre 2013 et 2015. C’est une véritable propagande à laquelle se livre ainsi le gouvernement russe, d’après le rapport de navalny.
Conclusion
Parmi les clubs de motards sur lesquels nous avons eu l’occasion de nous pencher, celui des Nightwolves est certainement celui qui présente le moins de nuances. Extrêmement violents, très patriotiques, ancrés dans une culture du de l’illégalité et de la corruption, les Nightwolves ne semblent malheureusement pas près d’entrer dans une forme de juste milieu.