Lorsqu’on pénètre dans tout microcosme social, il faut faire attention aux termes que l’on emploie. Tel mot utilisé par un locuteur comme étant le synonyme d’un autre se verra attribuer en réalité un sens complètement différent par les initiés. Cela n’est pas différent dans le cercle finalement assez restreint des motards. MC, gang, club, association, club de motos criminalisés… autant de nuances sémantiques qui ne désignent pas nécessairement la même implication de la part des membres. On peut très bien appartenir à un club de motos sans n’avoir rien commis d’illégal, par exemple. Il s’agit dans cet article de distinguer tous ces termes pour en venir à la définition d’un club de moto criminalisé, qui est finalement un phénomène assez marginal au sein d’une histoire somme toute récente du phénomène motard.
En effet, même si les toutes premières motos ont vu le jour dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, ce n’est que bien plus tard qu’elle s’est démocratisée sur les routes. Comme souvent, ce sont les aléas de l’histoire qui ont provoqué cette soudaine émergence. La plupart des bikers étaient, en effet, d’anciens militaires ayant appris sous les drapeaux à conduire et à entretenir leurs motos.
Une fois la seconde guerre mondiale terminée, c’est une population jeune, masculine, et ravagée par les atrocités du combat, qui s’est retrouvée
sur les routes, avec pour seul désir de tourner le dos à toutes ces Institutions qui les avaient abandonnées: la famille, l’Eglise, l’Etat. Il s’agissait pour eux de chercher ailleurs d’autres valeurs, senties comme plus authentiques que celles qui avaient permis un tel massacre. Ainsi s’explique cet engouement pour la moto. Véhicule bruyant, dangereux, solitaire, la moto incarnait un besoin de rébellion et de fuite.
C’est ainsi que petit à petit les motards se sont rencontrés, puis rassemblés jusqu’à s’unir dans ce qui deviendra les clubs de motards. Il y en aurait plusieurs milliers de nos jours, rien qu’aux Etats-Unis, sans que ce phénomène se limite au continent américain. On peut donc se douter que tous ces groupes n’incarnent pas, ne promulguent pas les mêmes valeurs.
Sommaire
Des termes différents
Ainsi, dans la mesure où chaque mot désigne une réalité, il y a une panoplie de termes recouvrant des réalités sociales différentes, et à y bien penser peu de points communs rassemble toutes ces communautés. Le seul dénominateur commun, finalement, est le goût pour la moto, à l’origine une grosse cylindrée américaine, mais depuis les règles se sont un peu assouplies, de sorte que les motos japonaises, italiennes, allemandes ou britanniques sont de plus en plus tolérées. Un club de motards, traduction du sigle MC (Motorcycle Club), est le terme le plus générique, il désigne un rassemblement de motards partageant la même histoire, les mêmes valeurs et qui ont décidé de s’unir, de donner un nom à leur groupe et de partager leurs valeurs. Il n’y a pas nécessairement de volonté d’expansion géographique, à l’instar des Crusaders MC d’Afrique du Sud, qui n’ont pas de prétention à s’étendre sur d’autres pays. De même, il n’y a pas nécessairement, dans le concept de MC, de volonté de s’affranchir des règles et de devenir hors-la-loi.
C’est même le contraire chez certains clubs, comme les Gunfighters, qui au contraire, grâce à leurs bonnes actions, sont au service des citoyens. On pourrait évoquer le mot “gang”, mot issu de l’allemand désignant la marche, les affaires, la procédure, pour désigner ces groupes de motards qui vivent de leurs actions délictueuses, à la fois pour protéger leur territoire et assurer une certaine indépendance financière. Est associé à ce concept celui de criminalisation. Un crime, rappelons-le, est d’après le dictionnaire une “infraction très grave (meurtre, pillage, incendie, viol, etc.) qui, sauf exception, est de la compétence de la cour d’assises”.
Nous sommes en plein dans le sujet pour la plupart des gangs de motards qui vivent quasi-exclusivement de ce genre d’exploits. Un club de moto criminalisé, par conséquent, désigne un groupe de motards réunis en club, officiel ou non, partageant les mêmes valeurs avec le désir très marqué de vivre à la marge de la société. C’est dire si, finalement, sur la totalité des motards dans le monde, ceux-là sont une frange très minoritaire, mais suffisamment connue pour jeter l’opprobre sur tous les autres.
L’élément déclencheur : Hollister
Évidemment, cette entrée dans le monde du crime et de la délinquance n’est pas linéaire, elle est faite de soubresauts, d’hésitations, de repentances… Il y a toutefois un événement, dans l’histoire des délits des gangs, qui a fait date, un espèce de mythe fondateur qui a délimité une ligne entre les motards voulant respecter les règles et ceux qui ont choisi de s’éloigner du sens commun. Le 4 juillet 1947, un jour de fête nationale aux États-Unis, la ville de Hollister (en Californie, au sud de San Francisco) a été le théâtre d’un concours de moto, avec un énorme rassemblement de 4 000 motos. La fête a malheureusement été le spectacle de trouble de la part de quelques centaines de motards se livrant, en pleine rue, à des débordements (jets de bouteilles, rodéos sauvages en pleine rue, violations du code de la route…) qui ont été trop nombreuses pour être contenues par les… sept policiers chargés d’assurer la sécurité de l’événement. Les forces de l’ordre ont malgré tout procédé à l’arrestation de plusieurs dizaines de motards.
Dans les heures qui ont suivi, une délégation de bikers est venue exiger, de manière très véhémente, la libération de leurs “frères”. Refus catégorique de la police, qui a entraîné une série d’émeutes, qui ont duré hélas jusqu’au 6 juillet, quand des renforts de la garde nationale sont venus, à renforts de lacrymogènes, disperser les émeutiers. Plus d’une cinquantaine de blessés, ainsi que de très lourds dégâts matériels, furent à déplorer. La fracture entre motards respectueux des lois et motards prêts à en découdre commençait à devenir nette. Cela se confirma deux mois plus tard, lors du Labor’s day, jour important outre Atlantique. A Riverside, toujours en Californie, un rassemblement de motos organisé par la très sévère American Motorcycle Association (AMA) et la police de la route a de nouveau été le théâtre d’affrontements entre certains motards et les forces de l’ordre. A la différence que ces bagarres ont coûté la vie à une passagère de dix-huit ans à peine. Le 4 juillet suivant, encore à Riverside, nouveaux incidents, nouvelles confrontations et hélas encore une victime.
Ces événements ont conduit l’AMA à exclure de leur association ces motards qui persistaient à ne pas respecter le code de la route et les règles en vigueur dans la société. C’est dans cette ambiance électrique qu’est née la fameuse expression des un pour cent, dont les gangs de motards sont fiers au point d’en avoir fait un écusson arboré fièrement sur leur blouson de cuir. Le président de l’AMA a clamé que 99 pour cent des motards sont des gens honnêtes, par opposition à cette minorité de 1 pour cent qui continuait à troubler l’ordre public. Cette notion de un pour cent sert souvent à fédérer les motards autour de ces concepts de vie hors des lois, de vie en marge de la société. Ainsi ces gangs n’hésitent pas à se surnommer des clubs des un pour cent.
Ces événements de 1947 et 1948 sont hélas une goutte dans l’océan des crimes commis, mais ils ont en quelque sorte valeur d’événement fondateur dans l’entrée dans l’histoire des clubs de moto criminalisés. En quelque sorte, dans l’histoire des clubs de moto, il y a eu un avant et un après Hollister.
L’organisation collective d’un club de moto criminalisé
Autant certains clubs, ne cherchant pas d’expansion internationale, se contentent souvent d’une organisation un peu anarchique dans laquelle les membres influents, de par leur ancienneté ou leur implication, prennent les grandes décisions pour l’ensemble du groupe ; autant les clubs composés de plusieurs centaines de motards répartis sur divers chapitres, voire divers pays, doivent avoir une organisation rigoureuse, dont la hiérarchie emprunte à la fois celle d’un Etat et celle d’une association. En effet, ne décide pas qui veut, n’importe qui ne gère pas les finances du groupe… Il y a une série de lois et de fonctionnements à respecter, même dans un regroupement d’individus qui se disent en dehors des lois. De même, l’intégration d’un nouveau membre au sein du gang repose, nous le verrons, sur de nombreux rites de passage et sur la reconnaissance d’une qualité de la recrue, qualité propre au combat, à la manipulation, à son influence sur un secteur particulier… Chacun, avec ses talents, apporte ses compétences au groupe.
Mais cela se fait toujours selon un principe d’organisation très rigoureux. Au sommet de l’échelle se situe le président. Il a un droit de regard et de veto sur toutes les affaires du groupe, il est au courant de tout ce qui s’y passe et négocie, si besoin est, les relations avec les autorités, en se faisant le porte-parole de la philosophie du gang. Il est assisté d’un vice-président, élu lui aussi par les membres, et qui le remplace en cas d’absence, ayant les mêmes pouvoirs que lui. Le secrétaire-trésorier, parfois une seule, parfois deux personnes, est chargé de toute la partie administrative du groupe. Il recense les noms et coordonnées de tous les membres, il gère les cotisations des membres, les dépenses du groupe, l’achat ou la location de locaux ou de matériel, il rédige les compte-rendus des procès-verbaux d’assemblées. Le sergent d’armes, titre typiquement militaire, s’occupe de la partie matérielle des opérations, plus particulièrement de la gestion des armes. Il a la délicate mission de faire régner l’ordre au sein du club et de gérer les éventuels conflits internes, en usant le plus souvent de ses talents de diplomate, mais parfois aussi de sa force physique. Il s’agit d’un rôle difficile, très exposé aux attaques, qu’elles soient physiques ou verbales. On peut imaginer le sang-froid que cette fonction exige. Les membres attitrés sont des membres réguliers du club.
Ils portent les couleurs du club, paient leur cotisation, participent aux rassemblements, votent lors des assemblées. Les membres honoraires, jouissant d’un certain prestige, sont des membres qui ont fait la preuve de leur attachement au club par certaines actions en lien avec leurs propres capacités et les besoins du club. Ce peut être lors de négociations avec des autorités, ou de manière plus musclée lors d’opérations du club. Ces membres participent aux manifestations, ne paient pas de cotisation, mais ne votent pas les décisions lors des assemblées. Les prospects sont des postulants, des motards souhaitant devenir membres mais qui doivent subir une sorte de période probatoire encadrée par une série d’épreuves qui valident leurs capacités à intégrer le groupe. Ils sont le plus souvent suivis par une sorte de tuteur, qui prend note de leur cheminement.
Cette période de prospection peut être très longue, plusieurs années parfois, ce qui nécessite une réelle détermination de la part du prospect. Ce dernier est chargé, durant ce temps, des tâches les plus ingrates du club. Enfin, les parasites (“hangarounds”) sont en quelque sorte des mercenaires, des criminels qui n’ont aucun lien avec le club mais qui de temps en temps sont utiles pour certains travaux. Ces “parasites” peuvent demander à devenir prospects, mais pour cela ils doivent obtenir la majorité des voix des membres attitrés. Ainsi, cet organigramme très solide montre bien le besoin d’organisation des gangs de motards. L’ossature du club est la même, que ce soit au niveau local ou au niveau national. Il existe pour chaque club ce qu’on appelle un chapitre-mère, le plus souvent dans la ville d’origine du gang, et plusieurs chapitres répartis dans le pays, voire à l’international.
Les réunions au sein de chaque chapitre sont très régulières, et les compte-rendus sont remontés systématiquement au chapitre-mère, ce qui assure la bonne tenue du club et la gestion quasiment en réel des difficultés pouvant survenir.
Appartenir à un club de moto criminalisé
On l’a vu, le fonctionnement d’un gang est régi par tout un système de règles internes faisant peser sur les membres tout un fonctionnement. Ainsi, plusieurs conditions sont nécessaires pour que l’aspirant devienne un prospect. Il peut bien entendu, selon les différents gangs, y avoir des variations dans toutes ces règles, mais dans l’ensemble les principes restent assez similaires. L’aspirant doit être majeur, évidemment. Il doit posséder et conduire une grosse cylindrée, de préférence une américaine supérieure à mille centimètres cubes. Autant l’origine de la moto peut, selon les pays, être ouverte à une certaine tolérance, autant la cylindrée et le volume sonore sont des critères incontournables. Jusque dans le vrombissement du moteur de sa monture, le membre doit se faire entendre.
Le futur membre doit être blanc, dans la plupart des cas. Cette question du racisme est proéminente chez les gangs de motards, qui conservent une exclusion radicale des motards racisés, à tel point que des clubs constitués de membres d’origine afro-américaine se sont constitués en réponse à ce racisme. A mesure que les années passent, ce problème du racisme a tendance, et heureusement, à s’atténuer, de telle sorte que de plus en plus de clubs admettent, il était temps, les personnes racisées comme membres. Le futur biker doit être parrainé par un membre attitré, qui sera responsable de son intégration progressive dans le club, tout au long d’une période probatoire pouvant durer, dans certains cas, jusqu’à plusieurs années. Il est difficile de dire en quoi consistent ces épreuves, étant donné la forte culture du secret qui pèse sur les activités du club, mais nul doute que s’y mélangent les besognes dont personne ne veut, et les actions illégales devant montrer le courage et l’engagement de la future recrue. Une fois cette période terminée et le membre admis au sein de la communauté, il doit payer sa cotisation et être présent lors des réunions et assemblées de son chapitre.
Il a le droit de voter, et de participer aux rassemblements du club. De manière plus informelle, il est également sollicité pour participer aux opérations du groupe, opérations organisées à huit-clos et visant à diverses actions illégales visant à défendre l’honneur du groupe ou à tirer des bénéfices pour son fonctionnement. Le membre, enfin, est tenu de porter les couleurs de son club par le port du fameux “cut”, le blouson de cuir au dos duquel figure le patch, c’est-à-dire le logo du club, représenté par un dessin symbolique autour duquel sont écrits le nom du MC et le chapitre d’appartenance au motard. Ainsi, faire partie d’un gang criminalisé revient bien souvent à subordonner de grands pans de sa vie à l’appartenance au club.
Les clubs de moto criminalisés les plus célèbres
On l’a vu, il existe plusieurs milliers de clubs de moto autour du globe, de divers types, de diverses origines, aux divers rayonnements. Il est donc hors de propos de tous les citer. Nous prendrons trois exemples parmi les plus représentatifs.
Les Hells Angels
Bien que n’étant pas le plus ancien, le club des Hells Angels est le gang de motards le plus célèbre du monde. Fondé en 1948 en Californie, le club comporte à ce jour plus de 3500 membres répartis sur les 467 chapitres des 59 pays dans lesquels les Hells Angels sont implantés. Mais cette célébrité est également due aux très lourds antécédents judiciaires de la plupart des membres. Bien que le club clame son innocence et son simple but de partager des balades entre amis, il reste que les Hells Angels sont impliqués dans des affaires de meurtre, de trafic de drogues, d’attaques à main armée, de proxénétisme ou de prostitution. Les rivalités avec les autres gangs sont également monnaie courante, de telle sorte que les affrontements entre membres de clubs rivaux font de nombreuses victimes.
Les Bandidos
C’est à San Leon, au Texas, que les Bandidos ont vu le jour en 1966, sous l’impulsion du fondateur emblématique Donald Eugène Chambers (1930-1999). Le gang a très vite su recruter ses premiers membres et agrandir son influence, de sorte qu’à ce jour ce sont pas moins de deux cent chapitres qui sont répartis sur le globe. Les Bandidos font ainsi partie des gangs les plus célèbres du monde, pour de bien tristes faits d’armes.
Rivaux historiques des Hells Angels et des Vagos, les fusillades entre les différents gangs sont légion, pour des provocations ou pour défendre un territoire. Mais les chefs d’accusation sont multiples, par ailleurs: trafic de cocaïne, de méthamphétamine, trafic d’armes, blanchiment d’argent, extorsion… Sur tous les pays où ils sont implantés, les Bandidos (quel nom bien choisi !) s’illustrent dans des faits de ce genre.
Les Outlaws
Les Outlaws sont certainement le gang le plus ancien du vingtième siècle. Il a été fondé en 1935 dans l’Illinois, à Mc Cook, dans la banlieue sud de Chicago. Ce club a lui aussi volé rapidement de ses propres ailes, allant jusqu’à intégrer d’autres clubs rivaux sous leur égide. Ce curieux phénomène d’accaparement a permis aux Outlaws de s’agrandir considérablement, si bien que le gang possède plusieurs centaines de chapitres, non seulement en Amérique, mais également sur à peu près tous les continents du globe.
Cela est particulièrement pratique car, en plus d’étendre leur sphère d’influence et les occasions de trafics, il est d’autant plus facile pour un membre des Outlaws de se volatiliser, échappant ainsi à la justice, du moins pour quelque temps. Cela est important car les occasions d’être inquiété par la justice sont nombreuses, quand on fait partie de ce gang.
Trafic de drogue, kidnappings, assassinats, attaques à main armée…depuis des décennies les Outlaws s’illustrent dans des actions violentes et illégales, à la fois lucratives et très onéreuses en termes de pertes humaines.
Conclusion
En cette fin 2022, le phénomène des clubs de moto criminalisés est plus actif que jamais, propulsé par la facilité des motards à communiquer via Internet et les réseaux sociaux. On peut également noter que ces clubs ne représentent qu’une frange minime parmi l’étendue des motards. Ce surnom des un pour cent est presque une surévaluation de la véritable proportion des motards vivant à la marge.