Le terme “biker” est peut-être l’un des plus riches de la langue française, et pour cause: ce mot n’est pas français mais anglais, plus précisément américain. Le mot désigne, si l’on s’en tient à son acception la plus vaste, un conducteur de moto, mais pas n’importe quel conducteur. La richesse de ce substantif masculin (le mot “bikeuse” est-il beaucoup attesté dans la langue française ?) réside justement dans son imprécision, à savoir que le biker est à la fois un conducteur, mais peut aussi désigner un membre d’un club de motards, il peut également faire référence à une personne vivant en marge de la société, voire une sorte de hors-la-loi. Toutes ces précisions parfois contradictoires en font un mot riche de sens qu’il est nécessaire selon nous de clarifier. Nous nous demanderons dans cet article ce que l’on peut désigner par ce terme de biker, qui semble toujours aussi vivant dans plusieurs langues.
Sommaire
Histoire d’un mot
Le mot “biker”, formé par dérivation du mot bike, lui-même étant le diminutif de “bicycle”, du grec κύκλος, “kyklos”, signifiant “roue”, “objet circulaire” désigne celui qui conduit un “bike”, c’est-à-dire un vélo ou une moto. Il est évident que le terme “biker” renvoie à un conducteur de moto, toutefois le double sens du mot “bike” en anglais est significatif dans la mesure où c’est dans un même mouvement que semble se diriger l’enfant conduisant son vélo et l’adulte chevauchant sa moto. Pensons par exemple aux sonnettes de vélo, qui ne sont pas des klaxons, de la chanson « Bicycle Race”, de Queen. Il serait intéressant également de rapprocher ce terme de biker de celui de “rider”, tant ils sont proches au niveau du son mais également au niveau du sens. Le rider désigne celui qui chevauche, au sens large, qu’il s’agisse d’un cheval ou d’une monture quelconque. Ainsi, nous pouvons préciser le sens du mot “biker” comme étant celui qui conduit un véhicule motorisé à deux ou trois roues. Sont également appelés “bikers” les conducteurs de véhicules à moteur à trois roues. Par extension, toujours en cherchant à préciser le concept en questionnant son histoire et ses dérivés, on peut se demander pourquoi le biker ne désigne que des conducteurs de véhicules à deux roues et non pas à quatre roues. La question de l’équilibre et de la gestion du corps dans la conduite nous paraît fondamentale pour préciser ce concept de biker. Il y a, et cela est partagé avec le rider, l’idée que le conducteur fait corps avec sa machine. Il n’en n’est pas seulement le simple manipulateur, il épouse son mouvement et participe de son équilibre. Il y a ainsi toute une fusion entre le conducteur et son véhicule, fusion que l’on peut retrouver jusque dans les récits antiques ou bibliques, le plus souvent entre un humain et un animal. On peut constater que ce concept de biker puise non seulement dans un grand lexique mais également dans des imaginaires très lointains. Le biker, en somme, est l’héritier du cavalier romain, du chevalier et du cow-boy, et les nombreuses valeurs propres aux bikers sont directement issues de ces différentes cultures.
L’origine du phénomène
Ces quelques analyses nous permettent de montrer et d’expliquer pourquoi le mot possède à la fois une telle richesse et un telle imprécision sémantique. Toutefois, c’est dans le courant du vingtième siècle que le terme se fixe, sous l’influence du développement de la moto et les différents conflits mondiaux qui ont émaillé le siècle. En effet, suite à une curieuse convergence des phénomènes, les technologies se sont améliorées, de sorte que la moto, apparue dans le seconde moitié du dix-neuvième siècle, s’est démocratisée, remplaçant peu à peu le cheval. Moyen de déplacement plus rapide, plus bruyant, nécessitant plus de connaissances, mais également plus dangereux, la moto est devenue le symbole de toute une génération de jeunes gens victimes de la guerre, directement ou indirectement. La moto a donc peu à peu symbolisé une jeunesse qui s’est sentie trahie par les grandes valeurs auxquelles elle croyait, valeurs partagées et pourtant reconnues jusque-là comme la famille, l’État, l’Église, qui n’ont pas su les protéger des horreurs des deux guerres mondiales. C’est suite à ce phénomène global de rejet de ces institutions que le concept de biker, motard solitaire sur son véhicule, est né. Cela permet d’expliquer deux grandes notions inséparables du concept de biker, deux notions qui paraissent contradictoires : le besoin de solitude et celui de socialisation. Par un double mouvement d’attirance des contraires, le biker se sent isolé et s’isole de la société qui l’a vu naître, mais pour autant éprouve le besoin de chercher des camarades, des motards comme lui, avec qui partager cette souffrance, avec qui chercher de nouvelles valeurs capables de remplacer les anciennes. C’est ainsi que la notion de fraternité est inséparable de celle des bikers. C’est sans doute cela qui va distinguer peu à peu le biker du cow-boy, par exemple. Le cowboy n’a rien d’illégal et reste ancré dans un fonctionnement social, alors que le biker fera tout pour s’en extraire, au contraire.
Les valeurs du biker
Bien entendu, à mesure que le temps passe et que le terme est utilisé avec des sens différents, les valeurs du biker sont multiples et très différentes. Nous allons énumérer les principales.
La Liberté
La liberté est certainement la première valeur du motard, la seule qui pourrait les rassembler tous, du club le plus hostile au chapitre le plus bienveillant. Cela n’est guère étonnant dans la mesure où l’émergence de la figure du biker vient justement d’un désir de larguer les amarres par rapport à un monde senti comme trop ancien et trop attaché à de vieilles valeurs. Liberté de se déplacer où il le souhaite, liberté d’entretenir sa moto comme il l’entend, la liberté de parler à qui il veut, le biker n’a en quelque sorte d’ordre à recevoir de personne. Cela le rattache à la figure du cow-boy ou du chevalier, qui peut se déplacer à sa guise sur sa monture. Cette liberté intérieure est ainsi la première valeur qui caractérise le biker.
La fraternité
Cela peut paraître un peu contradictoire avec l’exigence de liberté, mais la notion de sociabilité est également fondamentale chez le biker. Dans la mesure où le phénomène de club de moto est né de la rencontre souvent aléatoire de motards solitaires, il est tout à fait logique qu’un fort attachement se crée entre les différents membres d’un club. Cette notion de fraternité recouvre en réalité beaucoup de nuances, puisque adhérer à un club équivaut à entrer dans une sorte de famille, pour le meilleur et pour le pire. En effet, même si ce n’est pas le cas de tous les clubs, de nombreuses actions illégales les caractérisent parfois, si bien que la solidarité est une valeur de mise entre les différents membres. Cette notion de fraternité dépasse largement les frontières dans la mesure où les plus grands clubs ont une portée et un rayonnement international, de telle sorte qu’un motard d’un club se sentira accueilli même à l’autre bout du globe, par les membres du même club issus d’un chapitre différent. A cet égard, la fraternité peut même devenir gênante dans la mesure où un biker souhaitant quitter le club ne le pourra pas aussi facilement que cela.
La moto
C’est étrange pour le commun des mortels, mais la moto est considérée par le biker comme une véritable valeur, tant financière que symbolique. Par définition, le biker se déplace en moto, généralement une grosse cylindrée américaine, même si les règles ont tendance à s’assouplir sous la popularité des motos japonaises, italiennes, allemandes ou britanniques. Mais il s’agit avant tout de personnaliser sa monture, de lui donner un look et un timbre qui soient caractéristiques, de telle sorte que le biker se définit par la moto qu’il conduit. Toujours en bon état, toujours rutilante, pourvue d’échappements la rendant particulièrement sonore, la moto du biker semble presque être un prolongement de son corps.
La marginalité
Cette notion de marginalité recouvre en réalité une véritable défiance vis-à-vis de la vie en société, vécue comme une forme d’asservissement aux règles générales qui ont tendance à étouffer la personnalité de chacun. Le biker, fier de revendiquer son originalité, se tient à la marge de ce fonctionnement social. Lui et son club ont bien souvent une organisation sociale bien à part, de telle sorte que la vie familiale et la vie professionnelle du biker sont généralement subordonnées à son intégration au sein d’un club. De plus, l’argent étant bien sûr le nerf de la guerre, les clubs de motards n’hésitent pas très longtemps avant de recourir à différentes actions illégales. Cela constitue presque pour eux une forme de fierté. La grande majorité des clubs se distinguent par de nombreux faits d’armes comme des bagarres, des meurtres, des attaques à main armée, du trafic d’armes ou de drogue, du proxénétisme… Cela est un moyen d’agrandir le cercle d’influence du groupe, mais également une confortable source de revenus.
L’habillement
Être un biker, en plus de tout cela, c’est adopter un style vestimentaire qui permet d’être reconnu facilement. Le symbole le plus évident de l’appartenance du biker à un club de motards est le port du blouson de cuir noir, au dos duquel figure ce qu’on appelle le patch, c’est-à-dire le logo du club qui est le même pour tous les membres, quel que soit son chapitre ou son pays d’origine. Le seul élément du patch qui le distingue est la mention écrite en toutes lettres du nom du chapitre. Le blouson de cuir noir est donc devenu un élément indispensable de la panoplie du biker, remplaçant en quelque sorte l’armure du chevalier. Cela ne leur porte pas toujours bonheur dans la mesure où les bagarres entre membres de clubs rivaux sont très fréquentes, de telle sorte qu’il ne suffit de pas grand-chose pour déclencher une altercation entre deux motards. La seule vision du patch de l’autre membre suffit parfois à amorcer les hostilités. Toutefois, le blouson de cuir, bien qu’étant le signe distinctif principal du biker, est également pourvu de nombreux bijoux, généralement en argent. Bagues et colliers, généralement lourds et pourvus d’ailes ou de crânes, motifs très fréquents sur les patchs des clubs, sont très prisés par les motards, qui y voient autant de rappels d’un événement ou d’une personne chère. Enfin, les casques de bikers, généralement des casques jet plus confortables bien que moins sécurisants, sont souvent décorés par des peintures vives ou des écussons en hommage à leur club
L’avenir des Bikers
En ce vingt-et-unième siècle, la société change très vite, confrontée à la fulgurante émergence d’Internet et des réseaux sociaux. L’omniprésence de l’informatique dans nos vies a conduit les bikers à communiquer plus rapidement et plus simplement, ce qui est à la fois un avantage dans la mesure où les contacts sont plus faciles et un inconvénient puisqu’ils sont plus facilement traçables. Les bikers, généralement hostiles aux technologies de pointe, ont dû s’accommoder de ce mode de communication et en faire une arme de séduction pour attirer de plus en plus de membres. Ainsi les comptes Facebook, Twitter et Instagram des différents chapitres fleurissent, de telle sorte que les visiteurs sont au courant des diverses manifestations, et ainsi nouer un autre lien avec les bikers, qui deviennent ainsi plus abordables, plus sympathiques. Même si les membres des MC continuent de traîner une image de mauvais garçons, leur profil se transforme peu à peu, ce qui est somme toute logique. Quand la société bouge, les membres de la société bougent également.