Nourrissant bien des fantasmes, le biker est un paradoxe sur roues. Grand dur au cœur tendre, rebelle à la recherche de ses règles propres mais surtout avide de liberté, le biker fonctionne en groupe, trouve sa raison d’être dans sa meute : ceux qu’il appelle ses frères le restent pour la vie.
Mais très loin des clichés avec lesquels ils aiment jouer, ces figures atypiques et touchantes nous livrent un témoignage qui respire l’honnêteté et le bitume.
Sommaire
Reportage Vidéo : Bikers
Le Biker :
Il existe à peu près autant de bikers que de >motos. Chacun entre dans le groupe avec sa sensibilité, son parcours et ses ennuis, et chacun les laisse aux portes du groupe. On est biker pour combler un manque, ou plutôt pour affirmer quelque chose : l’affirmation de la liberté indéniable et inaliénable de celui qui refuse d’obéir à des règles dont le seul but est de le contraindre, sans que cela ne fasse sens pour lui.
Le biker, nous l’avons dit, joue avec sa propre image : bien sûr qu’ils aiment à véhiculer celle d’un bagarreur, tatoué, et viril à en faire exploser son manteau de cuir. Ce n’est pourtant pas cela qui les attire, et qui les rapproche. Comme le dit l’un des interlocuteurs du documentaire, « quand je suis arrivé, j’ai mis en avant mon coté bagarreur. On m’a arrêté tout de suite. Ce n’était pas ce qu’ils recherchaient. Ils cherchent avant tout quelqu’un avec du cœur ». Être un biker, c’est appartenir à un clan.
Le Clan :
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il en existe beaucoup de ces « clans » : le plus connu de tous, bien sûr, est celui des Hell’s Angels, dont ils sont finalement tous les héritiers.
Ce tout premier clan est né à la fin de la seconde guerre, aux États-Unis, du sentiment d’isolement des vétérans rentrés au pays après avoir connus les atrocités que l’on connait : ils avaient connu l’adrénaline suprême, avaient pour certains conduit des avions de chasse, et avaient vécu parmi leurs semblables nuits et jours. C’est ce sentiment qu’ils ont essayé de retrouver, au moment de former les Hell’s Angels : le sentiment d’un groupe avec un sens, une structure, une hiérarchie que l’on écoute et respecte.
Et il y a eu comme un déclic, des années 40 jusqu’à la fin des années 50 : un peu partout aux États-Unis, on voyait ces hommes, ces errants à motos, se balader, et partager un sentiment secret. Marginaux tout d’abord, mais relativement tolérés par les autorités qui ne semblaient pas voir dans ces groupes un danger particulier, ils commencèrent à inquiéter l’opinion publique à peu près au même moment, paradoxe étrange, où beaucoup d’hommes commençaient à rejoindre leurs rangs. On comprend bien sûr que, comme pour les hippies des années 60, c’est un phénomène de société répondant à un trouble profond qui animait alors ces hommes : le sentiment de ne plus comprendre les règles, pourtant toujours de plus en plus nombreuses et liberticides.
Et le phénomène, comme une étrange épidémie, se répandit alors jusqu’en Europe, et partout dans le monde, allant jusqu’à compter plusieurs millions de membres. Les deux clans le plus importants sont et demeurent les Hell’s Angels, et les Bandidos.
L’Esprit Rebelle
Les anges de l’enfer, et les bandits. Il n’en faut certainement pas beaucoup plus pour comprendre que l’envie de transgresser n’est jamais bien loin dès lors que l’on aborde le phénomène des bikers. Mais qui dit transgression ne dit pas nécessairement criminalité : et c’est le véritable sens que nous offrent, par leur existence, ces clans.
Ici, la transgression, c’est celle du rebelle, c’est-à-dire de celui qui ne courbe pas nécessairement l’échine face à des lois, surtout si celles-ci lui semblent arbitraires, ou insensées. Le rebelle, donc, figure luciférienne par excellence – on remarque bien des « 666 » sur les blousons de ces durs à cuire – c’est celui qui porte un message, et qui ose affirmer que les valeurs qui régissent notre société ne sont pas les bonnes. Est-ce donc mal, que d’oser affirmer qu’il y aurait une meilleure façon de vivre ?
Ainsi, l’anarchie n’est pas le chaos, comme la rébellion n’est pas un crime : on insiste ici sur ce que beaucoup considèreraient comme un paradoxe tout simplement parce que ce serait plus confortable.
Les Règles
Et justement, il y a peut-être plus de règles encore au sein d’une famille de motards que dans le monde extérieur : leur hiérarchie, quasi militaire est extrêmement structurée, claire et surtout respectée. Chacun a un grade, sait où est sa place, et quel rôle il doit jouer. Néanmoins cela n’implique pas une gouvernance aveugle faite de règles absurdes. Au contraire : les bikers l’avouent eux-mêmes, il y a parfois bien besoin d’une figure de proue pour gérer une trentaine de personnes affamées de liberté, lancées à toutes voiles sur le bitume. Ces gangs de bikers ne sont des gangs que pour l’imagerie : car ce sont en fait des familles, fondées sur des principes éthiques extrêmement louables, et dont la toute première est la fraternité.
Le Crédo
Voilà ce en quoi croient les bikers, et en ce sens ils s’apparentent, bien plus qu’on ne l’imagine souvent, à une autre figure quasi mythologique : le pirate.
Comme eux, ce sont des asociaux, et comme eux, ils sont pointés du doigt parce que c’est que l’on fait, quand on a en face de soit quelqu’un ou quelque chose qui remet en question trop de choses dans notre façon de fonctionner, en tant que civilisation. Comme les pirates, les bikers s’exilent, prennent les uns la mer, les autres la route, mais pour une seule et même raison : nourrir ce fantasme de créer une société alternative, plus proche de leurs besoins et de leur philosophie.
La Fraternité
Tous les bikers appellent les membres de son clan « mes frères ». Le parallèle avec les autres micro-sociétés, telles que les francs-maçons par exemple, est rapidement fait. Le frère, c’est celui dans lequel on reconnait un lien de parenté, celui qui représente une famille. Et puisqu’en l’occurrence, il s’agit d’une famille que l’on a soi-même choisi de rejoindre ce lien est fort et durable.
La Moto
On pourrait quasiment affirmer qu’il n’en existe qu’une seule : la Harley.
Démon des routes, au vrombissement puissant que tout le monde reconnait de très loin, elle est un monstre de volupté, de force et de puissance. Beaucoup de bikers avouent à demi-mot la relation quasi érotique qui les lie à leur engin et pour cause : ils en prennent un soin incroyable, les réparent, les nettoient. Et lorsqu’ils ne sont pas en train de changer quelque élément de leur moto, c’est qu’ils sont en train de demander conseil auprès d’anciens, à propos de leur moto.
Il est fascinant de constater à quel point la Harley est synonyme d’identité pour un biker : il n’en existe pas deux pareilles. Toutes sont à l’effigie de celui qui les monte.
Le Mythe du Bad Boy
C’est donc là le principal paradoxe du biker : bien sûr, qu’il faut être un bad boy pour s’opposer ainsi aux codes établis, pour être un des «bandidos». Certains, la plupart même, le portent sur leur peau. Leurs tatouages sont de véritables livres de codes tant il y a de symboles et de choses à lire. Et lorsque ce n’est pas directement sur leur peau, ils affichent leur rébellion sur leur autre cuir, leurs blousons.
Ce qu’il faut donc remettre en question, c’est l’image que nous avons du rebelle : que penser de ce dernier, si celui n’a à la bouche que les mots d’amour, de fraternité, d’égalité ? N’est-il pas la preuve que nous nous sommes égarés, en tant que société, de ces principes qui sont pourtant ceux-là même sur lesquels nous avons tout fondé ?
Les bikers sont condamnés à la liberté. C’est sans doute cela être un véritable bad boy.